La blouse du député Thivrier
En 1889, alors qu’il doit siéger au Palais-Bourbon, le nouveau député de la circonscription de Montluçon, Christophe Thivrier, fait le choix de se singulariser en portant en permanence la blouse, vêtement emblématique des ouvriers bourbonnais. Ce choix vestimentaire va évidemment attirer l’attention des journalistes et du public.
Le premier élu socialiste
« Il ne fait pas bon, sous le gouvernement de M. Floquet, de professer des opinions socialistes. Le citoyen Thivrier vient de l’apprendre par arrêté du préfet de l’Allier qui le suspend pour un mois de ses fonctions de maire de Commentry. Le crime du citoyen Thivrier est d’avoir fait suivre son nom de sa qualité de maire, en signant une adresse à des délégués des chambres syndicales ouvrières de l’Allier et de Bordeaux. C’était en effet impardonnable ! »
Le député en biaude
L’élection de septembre 1889 s’annonce disputée dans la circonscription de Montluçon avec trois candidats, un républicain progressiste (M. Deslinières), un bonapartiste (M. Martinot) et un « collectiviste » (M. Thivrier). La victoire de Thivrier n’est pas une surprise pour Jean Véridic qui consacre son éditorial à la promesse du nouveau député de ne porter « que la blouse d’ouvrier » et non la « la redingote élégante qui serra les hanches des Carnot et des Antonin Proust », relativisant la portée symbolique du geste, assurant que « les temps sont loin où la blouse de l’ouvrier était comme le symbole et le drapeau des questions sociales les plus irritantes dans notre pays ».
En 1889, afin de respecter l’engagement pris devant les mineurs de Bézenet, le député Christophe Thivrier se présente à l’Assemblée Nationale, vêtu de la fameuse blouse bleue des ouvriers bourbonnais. Aux huissiers qui le somment de sortir, le député aurait répondu : « Quand l’abbé Lemire posera sa soutane, quand le général de Gallifet quittera son uniforme, je poserai ma blouse d’ouvrier ». Paroles qui ne sont pas reprises par les journaux, pourtant friands de telles tirades, ce qui laisse planer un doute sur la véracité de la réponse. Par contre, L’Humanité narre une anecdote similaire mais lors d’une discussion entre Thivrier et l’évêque Freppel :
« L’évêque Freppel, avec lequel Thivrier ne tarda pas à entre en conversation, lui posa la question, l’identique question :
- Ne la poserez-vous jamais, mon cher collègue ?
- Si, répliqua Christophe Thivrier, quand vous poserez votre soutane ! »
« Ce qui paraît assez ridicule aussi, c’est que Thivrier s’imagine lutter contre un préjugé bourgeois, tandis qu’il lutte simplement contre un préjugé ouvrier. Ce n’est pas le bourgeois, en effet, c’est l’ouvrier qui s’empresse de faire quelque toilette, qui s’endimanche, quand il sort de chez lui, de l’usine, de la fabrique, ou de l’atelier […]La bouse de Thivrier, qui laisse le bourgeois fort indifférent, flatte l’ouvrier peut-être, mais certainement elle le choque. »
« On verra le peuple en blouse ne s’occuper guère de Thivrier que pour se moquer de sa blouse. C’est qu’il ne suffit pas de porter le drapeau socialiste sous forme de blouse, il faut encore savoir le défendre. Or Thivrier n’en paraît point capable, du tout. Non seulement, il ne le défend pas à a tribune, ce qui est une désertion ; mais il ne le défend même point par ses votes, ce qui est une trahison. »
Christophe Thivrier (1841-1895)
Né à Durdat-Larequille en 1841, Christophe Thivrier travaille dès l’âge de 10 ans comme ouvrier mineur. Il occupe plusieurs professions comme entrepreneur en bâtiment, huilier, boulanger ou encore marchand de vin. Il est membre de La Marianne, société secrète qui tente d’unifier les revendications ouvrières. Il s’engage en politique en 1874 et devient le premier maire socialiste du monde en 1882. En 1889, il est député. Il décède le 8 août 1895 à Commentry.