Archives de presse
Les Grands Reportages à la une
Aux origines du grand reportage : les récits de huit reporters publiés à la une entre 1881 et 1934 à découvrir dans une collection de journaux d’époque réimprimés en intégralité.
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Envoyé spécial du Matin à Saint-Pétersbourg, le journaliste – et futur auteur du Mystère de la chambre jaune – est aux avant-postes de la révolution russe de 1905.
Lorsque Gaston Leroux télégraphie ses premières dépêches au Matin, le 1er juillet 1905, tout l’empire de Russie est en proie à des troubles révolutionnaires perpétrés par des militants socialistes et anarchistes. L’artillerie canonne les révoltés à Libau.
Dans la ville d’Odessa, en Crimée, un gouvernement provisoire s’est mis en place.
« Ici, les esprits sont très surexcités. À Kronstadt, les matelots ne voudraient plus obéir et refuseraient tout travail. À Saint-Pétersbourg, il y a eu des réunions d'officiers où s'est discutée la nécessité d'un régime nouveau. […]
En ce qui concerne la presse, le silence le plus absolu est naturellement observé ici, et si on signale les incendies d’Odessa c’est sans explications, de telle sorte que l’on puisse croire à un accident.
Il est fort difficile de savoir exactement à quoi s’en tenir. »
Ce blocus sur l’information de la part du gouvernement tsariste dure plusieurs jours mais Gaston Leroux câble quand même plusieurs dépêches, grâce à des informateurs sur place « qui savent tout et ont ordre de ne rien dire ».
« La situation est toujours des plus graves. On signale de nombreuses révoltes parmi les réservistes. Les nouvelles d'Odessa sont contradictoires. Le sort du “Kniaz-Potemkin” est incertain.
Odessa est en flammes, la bataille dans les rues continue. Ce sont ces seuls renseignements vagues que l’on peut obtenir, jusqu'à cette heure, de certains personnages qui savent tout et ont ordre de ne rien dire.
Toutes les correspondances, tous les télégrammes continuent à être arrêtés, de telle sorte que nous en sommes à nous demander si réellement, la révolte n'a pas gagné la grande majorité de la flotte de la mer Noire, dont les équipages refuseraient d'obéir.
Ainsi essaie-t-on de s'expliquer l'arrivée de l’escadre à Odessa et son retour rapide à Sébastopol, cependant que le Potemkin reste toujours sur place. »
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Les Grands Reportages à la une
Aux origines du grand reportage : les récits de huit reporters publiés à la une entre 1881 et 1934 à découvrir dans une collection de journaux d’époque réimprimés en intégralité.
Depuis Saint-Pétersbourg, le sort du Potemkine reste flou. Ce cuirassé (« kniaz » en russe) a connu au mois de juin précédent une mutinerie déclenchée suite à la livraison de viande avariée. La majorité des officiers écartés, le bateau est à présent dirigé par un « Comité du peuple » élu par les marins eux-mêmes. Les informations les plus contradictoires circulent à son sujet.
Le 4 juillet, Gaston Leroux tente de faire le point.
« Une version quasi-officielle avait essayé de nous faire croire que le Potemkin s'était rendu, après avoir débarqué un groupe, et qu'il était resté sur place avec un nouvel équipage. Tout cela était faux, entouré par l'escadre, le Potemkin s'était préparé au combat de façon si décisive, que des vaisseaux de l'amiral Krieger on pouvait voir tous les matelots à leur poste, prêts à commencer le feu sur les vaisseaux de Krieger.
Les équipages refusèrent d'obéir et de nombreux officiers ne les y poussèrent point. Le Potemkin se dirigea tranquillement, au travers des lignes, et prit le large sans être inquiété. […]
De toute la flotte russe de cette mer, il ne reste plus que le Kniaz-Potemkin, lequel, seul maître de ses destinées, et commandé, quoi qu'on en ait dit, par des officiers, s'est réfugié à Constanza, où il a reçu la visite des autorités roumaines. »
Le journaliste suit de près la balade en toute indépendance du cuirassé désormais réfugié en Roumanie, tout en élargissant l’angle de ses articles pour s’intéresser aux mutineries des matelots de la mer Noire. Car le Potemkine n’est pas le seul à s’être révolté : le vaisseau de Krieger a également refusé de l’arraisonner.
« Je vous ai télégraphié qu'à son retour à Sébastopol, l'escadre de Krieger fut désarmée, et que ses équipages furent en partie licenciés. Le fait est exact, et c'est quelques heures plus tard, sur l'ordre de l'empereur, que l'on arma à nouveau quelques cuirassés et que l'on reconstitua comme on put une partie des équipages.
On conserva à bord les hommes qui paraissaient les moins dangereux, et on fit servir la machinerie par des mécaniciens et des ingénieurs des chemins de fer sur lesquels on pouvait compter.
Quant aux officiers, on les laissa libres de rester à bord ou de descendre à terre. Il en resta, paraît-il, suffisamment à bord. »
Devant ce fiasco militaire, un nouveau ministre de la Guerre est nommé par le gouvernement de Nicolas II. Toutefois, selon Gaston Leroux, ce n’est pas la réponse qu’attendent les révoltés : « Ce n'est pas un changement de personnes que l'on demande, c'est celui du système tout entier ».
En attendant que le système change, le cuirassé Potemkine poursuit donc sa balade sans que personne ne semble s’en émouvoir.
« Chose inouïe. Voilà quarante-huit heures que Saint-Pétersbourg a appris officiellement l'aventure du Potemkin, et l'émotion est déjà calmée. On ne s'occupe même plus de ce vaisseau fantôme. On n'a même plus la curiosité de savoir où il est, où il va, ce qu'il fait. On lui abandonne la mer Noire, elle est à lui. Quand il sera fatigué de s'y promener, il le dira.
Chose plus fantastique encore, il y a eu une exclamation, ici, devant la proclamation de la République par la flotte, rapportée par le télégraphe russe. […]
La République du Potemkin communique avec tous tes autres États, grâce à la bienveillance de l'empire russe. […]
Nous saurons demain ou ce soir où il a abordé et ce qu’il est advenu des contre-torpilleurs qui sont à sa recherche. »
Le lendemain, Leroux se demande ouvertement si la marine russe (ou ce qu’il en reste) a réellement l’intention d’arraisonner le Potemkine : « L'escadre de Sébastopol continue à croiser dans des parages où elle est à peu près sûre de ne pas le rencontrer ».
Même l’annonce le 11 juillet de la reddition de l’équipage semble être accueillie, d’après ses dires, dans l’indifférence générale.
« La nouvelle de la reddition du Potemkin, qui nous est arrivée, dimanche dans l'après-midi, a été accueillie ici avec indifférence. L'histoire de ce bateau était déjà trop vieille.
Aujourd'hui, à l’état-major, on me confie que la Russie réclame la livraison des mutins et que la Roumanie répond que les promesses faites ne lui permettent pas d'accéder à cette demande.
Du reste, elle est dans la nécessité légale de traiter l'équipage du Potemkin comme les réfugiés macédoniens. »
La plupart des marins du Potemkine accepteront finalement l’asile accordé par l’État roumain, au moment où la marine impériale récupère le bâtiment à moitié coulé pour le rebaptiser Pantaleon.
En état de marche, le cuirassé sera renommé Potemkine après la révolution bolchévique de 1917.