Écho de presse

1920 : La grève de la faim mortelle du maire de Cork

le 23/09/2022 par Michèle Pedinielli
le 03/04/2021 par Michèle Pedinielli - modifié le 23/09/2022

À la suite de son arrestation sans motif, le républicain irlandais Terence MacSwiney entame une grève de la faim pour protester contre le pouvoir britannique. Il meurt au bout de 74 jours, en héros.

En mars 1920, Terence MacSwiney a 41 ans lorsqu’il est élu lord-maire de Cork, ville portuaire du sud-est de l’Irlande, après l’assassinat de son ami Tomás Mac Curtain, le précédent édile.

Poète et dramaturge, il est devenu rapidement militant de la cause républicaine, fondateur en 1918 de la branche de Cork du Sinn Féin, le parti créé en 1905 pour lutter pour l’indépendance de l’Irlande. À ce titre, il a gouté à de nombreuses reprises aux geôles britanniques.

Lorsque le 12 aout 1920, les soldats anglais font irruption dans l’hôtel de ville, il n’est presque pas surpris par cette arrestation. Pas plus que par l’absence de motif de celle-ci.

« Bientôt le maire était arrêté, hissé sur un camion automobile sur lequel montèrent une dizaine de soldats, fusil chargé et le doigt sur la gâchette, et emmené à la caserne.

Le parcours s'accomplit sans incident. Aucune tentative ne fut faite pour le délivrer, mais des acclamations enthousiastes le saluèrent au passage.

Une quinzaine de personnes en tout furent arrêtées, sans mandat aucun, Cork étant occupé militairement. Le haut sheriff lui-même, sir John Scott, se vit refuser toute information quant au motif des arrestations. »

Il est jugé en cour martiale pour possession de documents séditieux et est condamné à deux ans de prison à Brixton, en Angleterre.

Terence MacSwiney n’accepte ni l’accusation, ni surtout le fait d’avoir été jugé par un tribunal militaire. Il annonce qu’il entame une grève de la faim. Pendant de longues journées, il refuse toute nourriture que les gardiens déposent à côté de lui.

Les républicains irlandais en appellent à l’opinion publique internationale. Gavan Duffy, le délégué diplomatique à Paris écrit à Alexandre Millerand, président du Conseil français.

« Pour protester contre l’outrage infligé à l’Irlande, en sa personne, par l’armée d’occupation anglaise, le lord-maire refuse toute nourriture depuis le 12 courant. Il exige sa mise en liberté et il a déclaré aux militaires anglais qui s’arrogeaient le droit de le juger qu’il sortirait de sa prison, vivant ou mort, dans le délai d’un mois.

Le lord-maire est un soldat distingué de la République irlandaise ; il tiendra parole.

En portant ces faits à votre connaissance, Monsieur le président du Conseil, je m’adresse, d’abord, au pays qui se considère, à juste titre, comme le porte-parole des principes de la liberté humaine. Je m'adresse ensuite, à ce grand peuple français qui, si souvent par le passé, a généreusement secouru l’Irlande, et pour lequel tant de mes compatriotes ont donné leur sang à toutes les heures où la France se voyait menacée. »

Quelques jours plus tard, Duffy est expulsé de France au motif qu’il a communiqué sa lettre à la presse.

Dans le même temps, la femme de MacSwiney en appelle à Woodrow Wilson, le président des États-Unis.

« Vous avez, monsieur, énoncé le principe du droit des nations à disposer d'elles-mêmes. Mon mari, le lord-maire de Cork, se meurt dans une prison anglaise parce qu'il tient pour ce principe, parce qu'il combat pour ce principe, parce qu'il est prêt à sacrifier sa vie pour ce principe.

Jugé dans son pays natal par un tribunal étranger, dont il ne reconnaît pas l'autorité, jeté de force en prison, la seule arme dont il dispose pour protester est le refus de toute nourriture.

Je vous demande d'user de votre influence sur le gouvernement anglais pour prévenir la perpétration d'un outrage à la civilisation. »

Ces appels aux nations étrangères (le Pape est aussi interpelé) restent vains. Lloyd George, le Premier ministre anglais, ne bouge pas.

Soutenu par tout un peuple, et par sa femme (« Quels que soient mes sentiments intimes, il faut aujourd'hui que je me taise. Insister serait rendre plus pénible encore sa longue agonie, sans avoir aucune chance de faire fléchir sa volonté », dira-t-elle), Terence MacSwiney ne revient pas sur sa décision. 

Ses derniers mots au père Dominique qui lui rend régulièrement visite éclaire sa détermination : « Je veux que vous soyez témoin que je meurs en soldat de la république irlandaise. »

Son agonie dure 74 jours. Il s’éteint le 25 octobre au matin. Avec sa mort, la couronne britannique redoute une flambée de violence ; toutefois, les Irlandais ne cèdent pas à la provocation. L’envoyé spécial du Matin interroge un responsable républicain.

« Quelles seront les conséquences de cette mort en Irlande ? Le peuple se soulèvera-t-il ? demandai-je alors à M. O'Brien.

M. O'Brien me répondit :

“Les Irlandais ne sont pas assez sots pour jouer le jeu de l'ennemi. Ils ne se laisseront pas prendre au piège qu'on leur tend. Je crois sincèrement, je puis même vous affirmer que le peuple irlandais restera calme.

– Cette mort n'aura donc pas de conséquences matérielles ?

– Matérielles ? Non. Mais l'assassinat lent, cruel et prémédité du lord-maire de Cork confère aux Irlandais un avantage moral immense.” »

La conclusion de cet échange donne tout son sens à l’une des dernières déclarations de MacSwiney : « Je suis sûr que ma mort fera plus pour écraser l’empire britannique que ma libération. »

À Londres même, une foule immense accompagne le corps de Terence MacSwiney, mené à la cathédrale Saint-George. Au cœur de la capitale britannique, l’IRA réussit à rendre hommage à son héros.

« À l'instant où la messe allait être dite ce matin, à la cathédrale Saint-George, cinq hommes revêtus de longs pardessus fendirent la foule des fidèles et s'approchèrent du catafalque.

Enlevant leurs manteaux, ils apparurent aux yeux de l'assistance dans l'uniforme de l'armée républicaine irlandaise et prirent position autour du cercueil, formant à leur chef défunt la garde d'honneur militaire due au soldat qui meurt pour la patrie. »

Le corps est ensuite rapatrié à Cork pour des funérailles impressionnantes.

« Sur les 8 kilomètres du parcours suivi par le cortège, les volontaires républicains formaient une haie ininterrompue.

D'autres nous encadraient, portant les centaines de couronnes qui avaient été envoyées par des amis ou des admirateurs inconnus.

D'autres constituaient la garde d'honneur et, se relayant quatre par quatre, ils portèrent au cimetière le lourd cercueil drapé d'or, de blanc et de vert, sur lequel étaient posés le feutre et l'uniforme de l'officier républicain.

Tous ces volontaires – l'autorité l'avait exigé – étaient en vêtements civils. Mais tous, jeunes ou vieux, riches ou pauvres, – car il était parmi eux des barbons et des adolescents, des gens bien vêtus et d'autres qui l'étaient pauvrement –, tous droits, la tête fixe, au garde-à-vous, avaient bien l'allure de soldats. »

La mort de Terence MacSwiney est un mauvais calcul pour les Anglais. L’Humanité constate que « les conservateurs anglais qui ont envoyé plus de 100 000 hommes en Irlande pour dompter la révolte n’ont abouti qu’à lui donner une vigueur nouvelle ».

« Par la force des choses, l'enfermé de Brixton, qui a succombé à la grève de la faim, devient l'un des héros de l'indépendance d'Erin.

C'est autour de son nom que se cristalliseront toutes les aspirations et toutes les haines d'un peuple, à l'instant où ce peuple est prêt aux suprêmes sacrifices pour s'affranchir de l’oppression. »

De fait, MacSwiney devient une inspiration même au delà des frontières irlandaises, auprès des leaders des peuples aspirant à leur indépendance, notamment en Inde.

Gandhi fera référence au lord-maire de Cork dans ses écrits et ses actes, notamment lors de sa grève de la faim en 1924.