Interview

« La Commune pose la question de savoir quelle République on veut »

le 25/03/2021 par Michel Cordillot, Marina Bellot
le 23/03/2021 par Michel Cordillot, Marina Bellot - modifié le 25/03/2021

Cent cinquante ans après, la Commune de Paris fait toujours l'objet de fascination et de controverses. Le nouveau volume du Dictionnaire du mouvement ouvrier rassemble les connaissances sur cet événement historique aussi étudié que méconnu. Entretien avec Michel Cordillot, qui a coordonné ce livre-somme. 

Le 18 mars 1871 commençait une expérience politique aussi fulgurante que fondatrice. Pour restituer toute l'ampleur de cet événement resté longtemps prisonnier d'enjeux idéologiques, l’ouvrage coordonné par l'historien Michel Cordillot, La Commune de Paris. 1871, rassemble des milliers de biographies et d'articles thématiques. Un livre-somme remarquablement illustré qui permet au lecteur d'explorer à son gré toute la richesse de cet épisode majeur de l'histoire française. 

Propos recueillis par Marina Bellot

RetroNews : En dépit des très nombreux travaux de recherche dont elle a fait et continue de faire l’objet, la Commune de Paris reste pourtant méconnue ou mal connue. Comment expliquer ce paradoxe ? 

Michel Cordillot : Effectivement, on peut s'étonner que malgré les milliers de livres consacrés à la Commune, il subsiste une méconnaissance de cet événement, et des zones à explorer. Cette méconnaissance, d’abord, s’explique par le fait qu’après 1871 la Commune est longtemps restée prisonnière du conflit entre la légende noire et la légende rouge, si bien que l'histoire de la Commune a fait l’objet d'enjeux idéologiques liés à la situation politique du moment, nationale mais aussi internationale. Il y a eu tout un processus de récupération de l’histoire de la Commune, qui fait que la connaissance de cet événement a été délibérément biaisée, et son interprétation distordue. Par ailleurs, tout un tas de questions ont été longtemps ignorées car elles gênaient. Il reste donc des pans à explorer. 

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L’objectif de cet ouvrage-somme est d’éclairer le lecteur. Cette volonté d’approcher l’événement de manière globale le rend-elle abordable par tous ceux qui veulent en savoir plus sur l’histoire sociale ? 

Une somme de connaissances : c'est exactement ce que nous avons voulu proposer avec cet ouvrage. Cela fait seulement un demi-siècle que l’on peut discuter sereinement de la Commune, au moins entre historiens. Nous avons tenté de faire le bilan des acquis, une sorte de point d’étape. Il ne s’agit pas d’une nouvelle histoire de la Commune. L’avantage de ce gros volume – qui ne doit surtout pas faire peur ! – c'est qu'on peut y entrer comme on veut. Il a été conçu pour être interactif, y compris avec le site Maitron en ligne, puisqu'il y a de nombreux renvois entre les différentes notices. C’est un livre dans lequel on se promène à son gré. Par exemple, ceux qui s’intéressent à la question des femmes sous la Commune peuvent commencer par lire les cinq notices thématiques qui s’y rapportent, lesquelles les renverront à des biographies de femmes qui les renverront à d’autres biographies, y compris d’hommes, et à d’autres thèmes, sujets, moments… On peut aussi rentrer dans l’ouvrage par les rues de Paris, partir d’une adresse et se promener tout autour, voir ce qui s’est fait, qui y était etc.

Découvrez les emplacements des rédactions des principaux journaux de la Commune, carte réalisée en partenariat avec le Maitron.

En quoi les acteurs de la Commune permettent-ils de mieux comprendre son histoire ? Quels critères ont présidé au choix des centaines de biographies présentées dans l’ouvrage ? 

Ce volume est l'émanation du Maitron qui, à l’origine, était une entreprise biographique. Or le Maitron compte pas moins de 17700 notices de communards. Dans ce volume, nous avons fixé la jauge à 500. Le but est de donner une vue d’ensemble, aussi large que possible, des formes très diverses et variées de l’engagement communaliste. Qui devient communard, pourquoi, comment ? C’est important de confronter les expériences individuelles avec l’histoire considérée de manière plus générale. Il existe un dénominateur commun entre tous ces acteurs : leur vie a été profondément marquée par la Commune – soit elle en a constitué un aboutissement, soit elle a été un événement central de leur existence qui a ensuite déterminé la suite de leur carrière, soit même un point de départ. Il était important d’avoir un échantillon aussi représentatif que possible, de ne pas s'arrêter aux acteurs les plus connus et de faire figurer des obscurs et des sans grades.  

Pourquoi avoir décidé de vous limiter à Paris ? 

Pendant très longtemps, les Communes de province ont été considérées comme de simples prolongements ou des appendices de la Commune de Paris, or ce n’est pas le cas. Les Communes de province ont eu leurs propres temporalités, ressorts et raisons, qui ne sont pas tout à fait ceux de la Commune de Paris. Deux notices thématiques sont consacrées à la province, mais l’on a considéré qu'il valait mieux rester centré sur la Commune de Paris, l’événement qui a eu le plus de répercussions et reste le plus connu. Cela dit, il reste nécessaire de travailler sur les Communes de province dont certaines sont moins connues et étudiées que d’autres. 

La Commune s’est inscrite dans un laps de temps très court mais a pourtant constitué un moment-charnière de l’histoire sociale française. Son héritage est-il encore discuté ? 

Il est clair que l’héritage de la Commune n’est absolument pas univoque. Sa place dans l’imaginaire français reste un objet de conflits. Dans cet ouvrage, nous avons tenté de mettre en avant un certain nombre de faits : la Commune n’a pas duré très longtemps et n’a pas eu le temps de prendre beaucoup de décisions, et encore moins de les mettre en application, mais quand on regarde la tendance générale des débats et des mesures envisagées, on s'aperçoit qu’elles étaient souvent d’une très grande modernité. On a alors débattu et décidé de choses qui sont réalisées depuis et considérées comme normales, ou qui restent aujourd’hui l’objet de revendications. 

Citons la séparation des Églises et de l’État (un des premiers décrets de la commune), la laïcisation des écoles, l’égalité salariale entre instituteurs et institutrices, la reconnaissance de l’union libre et celle des enfants nés hors mariage, ou encore l’interdiction du travail de nuit et des retenues sur salaires… 
 

Comment expliquer que cet événement soit encore un tel sujet de controverse et de fascination ? 

C’est lié selon moi à l’héritage principal de la Commune : d’abord la République, qui va commencer à s'imposer dans l’imaginaire français comme quelque chose qui va de soi. En février 1871, la chambre élue est monarchiste ; au mois de juillet 1871, juste après la Commune, la victoire électorale lors des élections législatives complémentaires est absolument républicaine. La Commune pose par ailleurs la question de savoir quelle République on veut. Car la République devient certes la norme politique, mais encore faut-il s’accorder sur son contenu. Dans l'histoire de France il est resté une constante de ce débat : veut-on une république libérale, une république de l’ordre, une république des affaires, ou une république démocratique et sociale ? 

Par ailleurs, la Commune, y compris dans son échec, a posé la question de l’accès au pouvoir des représentants des classes subalternes. Jusqu'alors, cela relevait de l’utopie. Or, la Commune arrive à faire fonctionner la Ville et les services publics malgré toutes les tentatives de sabotage de Thiers. C’est la démonstration qu’un gouvernement dans lequel siègent des représentants issus des milieux populaires peut gouverner efficacement. Enfin, la Commune reste objet de fascination en raison de la modernité dont on vient de parler.

 

À partir de quand la Commune devient-elle objet de revendications mémorielles ?

Dès 1880, au moment de l'amnistie, commence une longue bataille mémorielle autour de la Commune qui passe entre autres par la consécration du mur des fédérés au Père Lachaise, l'attribution de noms de communards à certaines rues de Paris…
La Commune ayant une dimension républicaine, sociale, patriotique, peut être revendiquée par à peu près par tout le monde. On a même connu des revendications fascisantes : les doriotistes, qui, pendant la Seconde Guerre mondiale portent l'uniforme allemand de la Waffen SS, vont au mur des fédérés...

Quels échos a-t-elle eu au niveau européen et international ?

Les échos au niveau international ont été très forts. Il y a toute une appropriation de la Commune à l’étranger. Aux États-Unis ou en Angleterre, les journaux ne parlent alors que de ça, pour de bonnes et de mauvaises raisons : c’est Paris en feu, Paris dévastée, les milliers de morts… C’est une image qui marque profondément. À l’inverse, ce qui est resté aussi c’est cette image de la démocratie directe, reprise aujourd’hui en écho par de nombreux mouvements en France et à l’étranger. 

La Commune de Paris. 1871 est paru en janvier 2021 aux éditions de l'Atelier. 

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P.-O. Lissagaray