Harry Price, chasseur de fantômes
Bête noire du monde spirite dont il a exposé les nombreux charlatans, le fondateur du Laboratoire de Recherche Psychique entendait appliquer la rigueur scientifique au paranormal.
L’Anglais Harry Price entretient dès son plus âge une passion hors normes pour les phénomènes extraordinaires, occultes et mystérieux – et sans doute plus encore pour leurs mises en scène.
Dès l’adolescence, il explore les arcanes des magiciens circassiens, les fêtes foraines et les médiums de marché, compare et répertorie leurs méthodes. Il se met à fréquenter les cercles spiritualistes, emmagasine toute la documentation possible sur le sujet. Il rejoint le cercle des illusionnistes de Grande-Bretagne, la Société de recherche psychique, avant de fonder en 1926 sa propre institution, le Laboratoire de recherche psychique, suite à des querelles éthiques avec ses homologues.
La volonté d’Harry Price, c’est l’étude rigoureuse des phénomènes dits paranormaux, quitte à dénoncer les affabulateurs profitant de la crédulité du public. Toute sa vie, Price fut ainsi cordialement détesté de ses pairs comme de la communauté scientifique officielle, pour qui tout cela n’était pas bien sérieux. Ce qui ne l’empêcha guère de constater et de valider la nature de certains événements inexpliqués.
La première mention des recherches d’Harry Price dans la presse française évoque sa rencontre avec Eleonora Zugun, jeune Roumaine de 13 ans possédée selon ses dires par une entité démoniaque qu’elle nomme Dracul. Price soumet alors la jeune fille à une batterie de tests devant témoins de la communauté médicale, incapables de trouver la moindre explication rationnelle.
« Les expérimentateurs ont constaté l’apparition de six empreintes blanchâtres sur la poitrine de la jeune fille. Ces stigmates prenaient, en se précisant, l’apparence de morsures.
Pendant la durée de ce phénomène, Eléonore se débattait, en poussant des cris, comme si elle était entre les mains d’un bourreau invisible. »
Les douleurs disparurent l’année d’après, dans la foulée des premières menstrues de la jeune fille. Les médecins s’accordèrent alors sur des résurgences psychosomatiques liées à l’éducation traumatique d’Eleonora par des parents maniant assez peu subtilement la menace physique.
Harry Price n’est évoqué par la suite qu’en termes moqueurs pour sa participation à un « congrès métapsychique » en septembre 1927, puis pour son idée – il est vrai, assez saugrenue – de faire exploser dix tonnes de magnésium au sommet de la montagne suisse Jungfrau dans le but de communiquer avec les habitants de la planète Mars – lubie qu’il partageait avec Nikola Tesla.
Deuxième affaire relayée dans la presse française, le cas Eileen Garrett. La femme, médium à ses heures, prétend être entrée en communication avec l’esprit du lieutenant Herbert Irwin, sous le commandement duquel se trouvait le fameux dirigeable R101, crashé le 5 octobre 1930.
Par l’intermédiaire physique de Mrs Garrett, l’officier dévoilerait les raisons de l’accident avec une précision inaccessible aux novices. Harry Price s’entoure d’experts afin d’analyser la plausibilité du contact.
« Pour ce qui est des termes techniques employés par l’esprit du commandant du dirigeable dans sa communication transmise par l’organe de Mrs Garrett, l’expert en aéronautique considère qu’il s’agit là d’une chose tout à fait remarquable.
Le médium, on s’en est assuré, ne connaît rien en aéronautique ou en mécanique. Elle n’a jamais possédé d’automobile, ni de moteur d’aucune espèce. D’ailleurs, la construction et la manœuvre d’un dirigeable sont des choses dont ne s’occupe qu’un très petit nombre de spécialistes ne se servant guère qu’entre eux de certains termes techniques qui leur sont propres.
C’est pourquoi l’expert, uniquement appelé à se prononcer sur la valeur et la véracité des assertions du lieutenant Irwin, ne peut que se trouver d’accord avec lui sur la plupart des points qu’il a mentionnés de l’au-delà.
Irwin parle d’un changement des gouvernails de profondeur, ainsi que de l’emploi de l’hydrogène carboné. C’étaient là deux projets envisagés et qui n’étaient connus que d’un nombre très réduit de personnes. »
Harry Price reste prudent mais se trouve incapable de démentir les assertions d’Eileen Garrett.
Par la suite, il a maille à partir avec deux mystificateurs de renom, en premier lieu le couple Duncan. Helen et son agent de mari proposent en effet des séances très impressionnantes à prix coûtant, réputées pour leurs inexplicables « apparitions d’ectoplasmes ».
Price assiste à l’une de ces performances. Loin d’être convaincu, il invite le couple au Laboratoire en vue d’une série d’examens. Le pot aux roses ne tarde pas à se révéler.
« C’est alors que l’on eut recours à la radiographie et que tout s’expliqua.
Les savants, à leur profonde stupéfaction, s’aperçurent qu’ils étaient en présence d’un sujet qui tient du phénomène, d’un être comme il n’en existe peut-être qu’un seul pour dix millions d’individus, bref, d’un organisme humain doué d’extraordinaires facultés de “régurgitation”.
C’est grâce à cette particularité si rare de pouvoir ramener dans la bouche, sans le moindre effort de vomissement, des matières solides absorbées par l’estomac et l’œsophage, que Mrs Duncan avait pu mystifier des milliers de gens de bonne foi, un peu trop prompts peut-être à accepter la réalité des phénomènes enregistrés. »
Mais le cas le plus controversé – et le plus emblématique – de la carrière d’Harry Price reste sans doute celui du médium spirite autrichien Rudi Schneider, dont il finit par éprouver les supposées « capacités télékinésiques ».
Le Journal décrit au même moment en termes fleuris les récits de possession du jeune médium par une certaine Olga ; La Dépêche du Berry évoque d’abord avec enthousiasme le compte-rendu de quelque 26 séances d’expérimentations menées par Price sur Schneider. La démystification vient cependant l’année suivante, lorsqu’Harry Price se rend compte que Rudi Schneider parvient à se libérer de ses liens, profitant de cette liberté pour bouger des objets en douce.
La révélation de la supercherie rend Price encore plus impopulaire dans la communauté de la recherche psychique, dont Rudi Schneider était une figure de proue inamovible.
Mais peu lui importe les inimitiés, sa quête est celle de preuves tangibles et irréfutables. Il achève de se mettre le monde du spiritisme à dos avec cette tribune, réfutation en bonne et due forme de la doctrine.
« Pendant vingt ans, je me suis livré à des recherches intensives ayant pour objet ce qui survient après la mort, et la solution de cette éternelle énigme m’échappe toujours.
Les spirites prétendent avoir des preuves que non seulement l’âme (ego) ou la personnalité survit outre-tombe, mais encore que les entités désincarnées de ceux qu’ils ont aimés “reviennent” leur parler par le truchement d’un être anormalement sensible appelé “médium”.
Je leur réponds que, tout en reconnaissant l’existence de beaucoup de phénomènes obtenus à leurs séances, je n’y vois aucune preuve scientifique de la survie. »
Dès lors, Harry Price acquiert une aura de respectabilité. Son activité de chasseur de fantômes se pare même d’une certaine solennité.
« Cet homme, au visage glabre et froid de businessman ou de Sherlock Holmes, mais au sourire extrêmement fin, se tient dans son “flat” de Berkeley Street comme une araignée au centre d’une immense toile invisible où le surnaturel vient se prendre.
Pas un fantôme n’apparaît, non seulement en Angleterre, mais encore sur le continent, sans qu’au milieu de sa toile Harry Price en soit informé et se précipite vers lui avec armes et bagages. »
Bien sûr, l’ironie revient à l’occasion, notamment dans la description de séances médiumniques connectées à la planète Mars. Le ton reste également sensationnaliste à l’évocation de ses visites dans le fameux presbytère de Borley, « le lieu le plus hanté d’Angleterre ».
En mai 1938, Harry Price est le centre d’une série d’articles du Figaro, consacrée à la chasse aux fantômes en Angleterre, dans la foulée de son expérience à Borley. Ses différentes excursions dans le monde du paranormal y sont dépeintes avec une circonspection polie.
Il décède dix ans plus tard, à l’âge de 67 ans, des suites d’une crise cardiaque. Toutes ses archives seront données à l’université de Londres par sa veuve ; elles incluent diverses publications, des correspondances, plusieurs notes sur ses essais et de nombreuses coupures de presse traitant de ses innombrables travaux.