Écho de presse

L'Atlantide engloutie : théories archéologiques autour d'un mythe platonicien

le 03/05/2021 par Pierre Ancery
le 01/08/2019 par Pierre Ancery - modifié le 03/05/2021
Thomas Cole, The Course of Empire : Destruction, 1836 - source : WikiCommons

Au fil des siècles, chercheurs et érudits ont situé le continent mythique décrit par Platon un peu partout : en Méditerranée, en Amérique, au Sahara... Au XIXe et au XXe siècles, la presse a souvent relayé ces hypothèses parfois farfelues.

Aucun mythe n'a autant enflammé l'imagination des chercheurs et des curieux de toutes époques. L'Atlantide, l'île merveilleuse évoquée au IVe siècle avant J-C par Platon dans deux Dialogues, le Timée et le Critias, a été au fil des siècles l'objet de toutes les spéculations. Parmi ceux qui prirent au sérieux l'existence historique du continent englouti, une question fut inlassablement débattue : celle de sa localisation.

Platon situait l'Atlantide « au-delà des colonnes d'Hercule », c'est-à-dire à l'ouest du détroit de Gibraltar. Mais l'océan Atlantique est vaste et les indications du philosophe grec, plus que vagues... Aussi l'Atlantide fut-elle placée tour à tour en Méditerranée, en Amérique, voire, plus farfelu, dans l'océan Indien, au Tibet, en Mongolie ou au nord de la Scandinavie (c'est la théorie d'Olof Rudbeck au XVIIe siècle).

 

RetroNews c’est plus de 2000 titres de presse française publiés de 1631 à 1952, des contenus éditoriaux mettant en lumière les archives de presse et des outils de recherche avancés.
Une offre unique pour découvrir l’histoire à travers les archives de presse !


Abonnez-vous à RetroNews et accédez à l’intégralité des contenus et fonctionnalités de recherche.

Newsletter

La presse ne manqua pas de tenir au courant ses lecteurs des dernières hypothèses sur le sujet. En 1803, la Gazette nationale fait une recension de l' Essai sur les Îles Fortunées, du naturaliste Bory de Saint-Vincent. Pour ce dernier, l'Atlantide se trouvait bien au milieu de l'Atlantique : suite à sa submersion, n'en restent que quelques pointes montagneuses devenues des îles.

« M. Bory suppose que l'Atlantide avait été peuplée par des hommes sortis du grand plateau de la Tartarie, vaste pépinière des nations ; elle fut submergée par une de ces grandes catastrophes qui changent la face d’une partie du globe : il y eut un horrible tremblement de terre ; l’abîme s’ouvrit, les campagnes, les cités furent englouties, et remplacées par un Océan immense ; les montagnes les plus élevées, et en très petit nombre, survécurent seules à la ruine universelle : ce sont les Açores, Madère, les Canaries, les îles du Cap-Vert. »

Autre hypothèse en vogue depuis la traversée de Christophe Colomb : l'Atlantide et l'Amérique ne seraient qu'un seul et même continent. Une théorie reprise en 1834 dans le Journal des débats politiques et littéraires. On trouve dans l'article en question une audacieuse suggestion : Mexico ne serait autre, à l'origine, que l'ancienne capitale des Atlantes, avant d'échoir aux Aztèques puis d'être reconstruite par les conquérants espagnols au XVIe siècle.

« Mais il y a surtout une observation que je m'étonne de n'avoir point vu faire avant moi ; c'est que la ville de Mexico, avec son lac, avec les longues chaussées par lesquelles elle communique à la terre, et où sont pratiquées de distance en distance des ouvertures que l'on franchit sur des ponts, avec la richesse et la magnificence qu'y trouvèrent les premiers conquérants, ressemble fort à la capitale des Atlantes, telle que nous la dépeint le dialogue du même Platon, intitulé Critias. »

En 1844, Le Moniteur algérien fait écho à la théorie développée par un certain Eugène Bodichon, lequel pense que les Atlantes, parvenus à un haut degré de civilisation, vivaient sur un continent englouti dont ne subsisterait qu'une portion, recouvrant l'Afrique du Nord actuelle.

« À une époque qui peut être comprise entre 3,000 et 2,000 et quelques cents ans avant J-C, l’Europe n’avait pas la forme que nous lui voyons aujourd'hui. Étaient alors réunies : l’Angleterre à la Gaule, les Baléares à l’Espagne, les Canaries à l'Afrique. Une mer méditerranéenne s’étendait là, où gît maintenant le Sahara [...].

Or, ce prolongement de terres méridionales, ainsi le Maroc, l’Algérie, la régence de Tunis, tout le système physique de l’Atlas, avec son archipel d’îles, telles que les oasis actuelles du Sahara, les îles Madère, les Açores et les îles du Cap Vert, était l'Atlantide. »

Au XIXe siècle, l'Atlantide est aussi très présente dans la fiction. Dans 20 000 lieues sous les mers, paru en 1869 et 1870, Jules Verne fait découvrir à ses héros les restes sous-marins de la cité mythique.

À la Belle Époque, la question est encore débattue. On fait appel à la géologie et à la paléontologie pour tenter de découvrir où se situait l'Atlantide. En mai 1898, un article paru dans la rubrique « Revue des sciences » du Journal des débats politiques et littéraires prend le sujet très au sérieux et soutient l'idée qu'un vaste continent reliait jadis l'Europe et l'Amérique.

« L'Atlantide, si longtemps reléguée dans le domaine de la géographie fabuleuse, a certainement existé. La légende des Atlantes, les récits de Solon, Platon, Théopompe, écho d'anciennes traditions, possède un grand fond de vérité. Les recherches géologiques montrent bien qu'il fut un temps où un continent reliait la péninsule Ibérique, l'Europe à l'Amérique septentrionale par les Açores et par les Antilles à l'Amérique centrale […].

C'est là, entre l'Espagne, l'Irlande et les Etats-Unis, que devait se trouver le continent atlantique qui servit de pont aux migrations des plantes, des animaux et de l'homme lui-même […]. Aussi bien, on rencontre dans l'Atlantique, au voisinage de l'Europe, un immense plateau sous-marin bordé d'abîmes de plusieurs milliers de mètres de profondeur, et recouvert seulement de 50 à 200 mètres d'eau. Ce plateau doit être ce qui reste de l'ancien continent démoli par le travail continu des vagues. »

Le mythe platonicien connaît un nouveau regain de popularité en 1919 avec la parution de L'Atlantide, roman de Pierre Benoît qui situe l'île engloutie dans le Hoggar, en plein désert du Sahara.

À une époque où la France s'intéresse de près à ses colonies d'Afrique du Nord, l'idée d'une Atlantide abîmée dans le désert est à la mode : elle est reprise en 1926 par Paul Le Cour, secrétaire de la « Société d'études atlantéennes », qui signe un long article dans Les Annales politiques et littéraires.

« Plus sérieuses, peut-être, sont les inductions qui font de la chaîne de l'Atlas l'habitat des Atlantes. Le principal protagoniste de cette théorie, qui est encore très en faveur aujourd'hui parmi certains atlantologues, fut Berlioux, professeur à la Faculté des Lettres de Lyon […].

Il signale, notamment, qu'il existe, sur le versant sud de l'Atlas, des inscriptions en caractères inconnus semblant avoir la même origine que d'autres inscriptions trouvées sur les rochers des îles Canaries. »

Le malheureux explorateur Percy Fawcett, lui, ira à la même époque se perdre en Amazonie alors qu'il recherchait une hypothétique « cité Z » appartenant à la civilisation atlante.

Dans les années 30, l'Allemagne nazie s'intéresse aussi à l'Atlantide. Depuis la fin du XIXe, de nombreux auteurs présentent le continent disparu comme le berceau de la race aryenne. Heinrich Himmler prendra très au sérieux cette théorie : il s'agit de prouver que les peuples germaniques sont directement issus de cette « race » originelle.

Albert Hermann, archéologue proche de Himmler, mène des recherches sur le sujet. Elles sont mentionnées en novembre 1933 par L'Avenir du Tonkin :

« Le professeur Albert Hermann, de Berlin, a fait connaître dans une réunion de la Fédération pour la culture allemande, le résultat de ses recherches sur l'Atlantide, que, à la suite de l'étude de vieilles cartes et de documents de l'époque d'Hérodote et de Platon, il localise en Afrique du Nord, où il a découvert en Tunisie, sur le rivage de l'ancien delta desséché, les restes d'une ville qui, à son avis fut Atlantide.

Si ces découvertes étaient confirmées, elles prouveraient, selon le professeur Hermann, que les Phéniciens appartenaient à la civilisation nordique. »

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, pourtant, l'évidence est là : 2400 ans après le récit de Platon, personne n'a le moindre début de preuve de l'existence de l'Atlantide. C'est ce qu'explique L'Oeuvre en janvier 1939 :

« Ainsi l'obscurité reste-t-elle encore profonde, traversée seulement de quelques pâles lueurs, et l'existence de l'Atlantide demeure-t-elle affaire de sentiment et matière à légende. Il n'est, du reste, pas impossible que les ténèbres se dissipent et que les sondes remontent un jour, au large des Açores ou des Canaries, par trois mille ou quatre mille mètres de fond, des reliques du travail humain, des morceaux de pierre travaillée, par exemple, révélant alors la réalité du royaume millénaire et des chefs tout puissants dont la nature a effacé aujourd'hui jusqu'à la trace la plus légère. »

D'autres hypothèses feront surface après la guerre, situant l'Atlantide par exemple à Santorin ou en Crète. Mais la grande majorité des scientifiques considère aujourd'hui que l'île engloutie n'est rien d'autre qu'un mythe inventé de toutes pièces par Platon, l'historien Pierre Vidal-Naquet expliquant par exemple en 2005 que le philosophe grec avait voulu écrire un pastiche des récits historiques d'Hérodote et de Thucydide.

 

 

Pour en savoir plus :

Pierre Vidal-Naquet, L'Atlantide, petite histoire d'un mythe platonicien, Les Belles Lettres, 2005

Bernard Sergent, L'Atlantide et la mythologie grecque, L'Harmattan, 2006

Notre sélection de livres

Découvrez une sélection d'ouvrages édités au XIXe siècle et issus d'un catalogue de 13 000 epubs !
Lettres sur l'Atlantide de Platon et sur l'ancienne histoire de l'Asie
Jean Sylvain Bailly
L'Atlantide, les origines
S. U. Zanne
L'histoire de l'Atlantide : esquisse géographique, historique et ethnologique
W. Scott-Elliot