Guillermo Enrique Eliseo, né esclave noir sous le nom de William Henry Ellis dans l’État du Texas en 1864 et mort dans le dénuement à Mexico en 1923, a vécu un nombre considérable de vies. Entre-temps, il est devenu « Blanc », homme d’affaires influent, riche, jusqu’à s’immiscer dans les grands cercles politiques et financiers américains et mexicains des années 1900.
Les éditions Anacharsis publient aujourd’hui la traduction du passionnant travail de l’historien américain Karl Jacoby au sujet de cet illustre inconnu, témoin, acteur et victime de l’histoire des États-Unis.
RetroNews vous propose aujourd’hui un extrait du prologue de L’Esclave qui devint millionaire, rédigé par son auteur.
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En 1909, pour faire le plus rapidement possible le voyage de quelque quatre mille cinq cents kilomètres entre Mexico et Manhattan, il fallait emprunter l’Aztec Limited des Ferrocarriles Nacionales mexicains. Les passagers se rendant à New York y montaient le soir à la gare de Buenavista, située à quelques minutes de tramway des places bourdonnantes de la capitale mexicaine. Après s’être frayé un chemin entre les marchands qui peuplaient la gare, vendant de tout, des journaux jusqu’aux tamales, les détenteurs d’un ticket s’installaient finalement pour jouir de tout le confort qu’un voyage en première classe pouvait prodiguer à l’aube du XXe siècle : bibliothèque fournie, fumoir, wagon-restaurant aux menus variés, et wagons-lits avec cabines et couchettes privées.
À mesure que le train progressait à toute vapeur en direction du Nord et que la nuit cédait la place aux premières lueurs d’un jour nouveau, le paysage défilant par les fenêtres changeait peu à peu. En lieu et place des villes coloniales, de leurs cathédrales baroques et de leurs rues soigneusement pavées, les passagers apercevaient des haciendas avec leurs troupeaux meuglants et leurs interminables rangs d’agaves, qui à leur tour laissaient place aux villages reculés aux rues poussiéreuses, aux montagnes escarpées et aux déserts austères du nord du Mexique.
Le troisième jour de leur voyage à bord de l’Aztec Limited, vers midi, les voyageurs atteignaient la frontière internationale, où les deux petites villes de Ciudad Porfirio Díaz et Eagle Pass se faisaient face de chaque côté du fleuve, baptisé Rio Grande ou Río Bravo del Norte selon qu’on était américain ou mexicain. […]