Si on trouve des occurrences à ce texte dès le début du XXe siècle en Allemagne par exemple, il est surtout diffusé après 1917 par des associations russes d’extrême droite, antisémites et antibolcheviques, surtout à partir du moment où les Russes antirévolutionnaires s’aperçoivent qu’ils sont en train de perdre la guerre civile.
Ils insistent alors sur l’idée que la Révolution d’Octobre est une action juive dont le but est de détruire à la fois l’orthodoxie et l’empire des Tsars. Le « plan secret » des Protocoles serait également une justification de l’exécution de la famille impériale russe, qui ferait partie de la stratégie des « Sages de Sion ».
La diffusion de telles idées a permis l’apparition d’un discours faisant du Juif une sorte de démon à l’action à la fois néfaste et omniprésente dans le monde. Tout, dans l’histoire de l’humanité serait lié à la volonté du « judaïsme mondial » de détruire les identités nationales. L’action néfaste du judaïsme se manifesterait selon les nazis au travers de l’idée d’un complot judéo-maçonnique et judéo-bolchevique mondial.
Ceux-ci ont enrichi l’antisémitisme de l’extrême droite allemande de l’apport des émigrés russes à Munich, que Dietrich Eckart, mentor d’Adolf Hitler, côtoyait. Le cadre nazi Alfred Rosenberg, proche d’Eckart, était d’ailleurs un Allemand des pays baltes arrivé en Allemagne en novembre 1918, à la suite de la Révolution d’Octobre. Rosenberg fut l’un des plus ardents propagateurs des Protocoles en Allemagne, dont il édita une version en 1923, aux côtés des émigrés antisémites et antobolcheviques russes Pierre Nicolaïevitch Chabelski-Bork et Théodore Victorovitch Vinberg.
On trouvait même un émigré russe dans l’entourage de Himmler, Grigorii Bostunic, devenu en 1924 Gregor Schwarz-Bostunitsch, qui a travaillé pour le Weltdienst (service mondial), une pseudo-agence de presse allemande faisant la propagande pour l’idéologie nazie. Il était donc assez logique qu’Hitler fasse la promotion de ces thèses dans Mein Kampf.
L’émigration russe à partir de 1917 a donc joué un rôle important dans la diffusion en Occident, dans l’immédiat après-guerre, des Protocoles des Sages de Sion, permettant un saut quantitatif et qualitatif de l’antisémitisme des années 1920 jusqu’à aujourd’hui. Surtout, ils ont permis de donner une vision cohérente au discours complotiste des antisémites, leur donnant une grille d’interprétation du monde.
Cet obscur pamphlet, destiné à l’entourage conservateur, orthodoxe et mystique de la famille impériale russe a connu après la Première Guerre mondiale une destinée internationale : de nos jours, il est encore édité par des militants d’extrême droite et par divers éditeurs antisémites et « antisionistes ».
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Stéphane François est historien des idées et politologue. Spécialiste des fondations théoriques de l’extrême droite européenne, il est notamment l’auteur de Les Mystères du nazisme : aux sources d'un fantasme contemporain, paru aux PUF en 2015.