Écho de presse

C'était à la une ! Plongée dans les Halles en 1866

le 16/12/2022 par RetroNews
le 22/12/2017 par RetroNews - modifié le 16/12/2022
Les Halles (1895) par Léon Augustin Lhermitte - Source WikiCommons

Dans la lecture du jour, Paul Parfait invite à une déambulation dans le ventre de Paris, en juillet 1866 : une visite historique et gustative...

En partenariat avec "La Fabrique de l'Histoire" sur France Culture

Cette semaine : Les Halles, par Paul Parfait, Le Figaro du 9 août 1866

Lecture enregistrée à la Bibliothèque nationale de France.

Réalisation : Séverine Cassar

Lecture par Daniel Kenigsberg

 

« LES HALLES

 

Au cœur de Paris, un monument où le monstre aux dix-neuf cent mille bouches vient chercher sa pâture quotidienne ; tout à l'entour un réseau de rues qui s'éveillent à l'heure où les autres s'endorment ; un quartier que sillonnent chaque nuit jusqu'à douze mille voitures, et qui, de quatre à dix heures du matin, voit s'ajouter à ses 42,000 habitants une population flottante d'au moins soixante mille âmes ; centre bruyant aux mœurs hybrides ; étrange assemblage de richesses ignorées et de misères qui s'étalent au soleil ; la blouse cossue frôlant le paletot râpé, la fainéantise coudoyant le travail : ce sont les Halles.

Ne vous semblent-elles pas dignes d'une excursion ? Pour être moins loin que le Kamstchatka, elles n'en sont guère plus connues du Parisien. Nous entreprendrons ensemble, si vous voulez, ce voyage à la découverte. Quand cela? — Tout de suite. Juillet nous favorise d'une de ses nuits les plus douces, et c'est demain dimanche, un grand jour de marché. En douze heures, nous aurons le temps de voir bien des choses. Minuit va sonner. Êtes-vous prêt? En route! [...]

Six pavillons uniformes alignés sur deux rangs s'abritent sous un immense parapluie de fer de 20,000 mètres de superficie. Une forêt de sveltes et élégantes colonnettes supporte comme en se jouant cette gigantesque toiture. De larges trottoirs plantés d'arbres s'étendent autour du vaste parallélogramme que traversent trois grandes voies, couvertes. L'une, longitudinale, est la grande allée ; les deux autres, transversales, prennent, la première de la rue de la Lingerie qu'elle semble continuer, l'autre des marchandes au petit tas qui s'y tiennent dans le jour, le nom d'allée de la Lingerie et d'allée aux petits tas.

Les six pavillons actuels qui ne forment que la seconde moitié des Halles futures et sont, en conséquence, numérotés de 7 à 12, ont chacun leur destination propre. Ici c'est le pavillon aux fruits et aux fleurs, là le pavillon aux légumes; plus loin, le pavillon au poisson, et en face celui aux œufs et au beurre en gros. Le cinquième est consacré principalement à la vente de la volaille et du gibier; quant au dernier, on y débite tant de choses que l'archevêque de Paris lui-même n'en put soutenir l'énumération jusqu'au bout.

Vous connaissez peut-être l'anecdote.

C'était lors de l'inauguration des Halles nouvelles. Mon seigneur Sibour, ayant à son côté un cicerone chargé de le mettre au courant de la destination des pavillons, allait porter solennellement sa bénédiction de l'un à l'autre. Cinq déjà avaient été l'objet de la même cérémonie. — Ici, murmure le guide arrivé au sixième, c'est le pavillon au beurre en détail.
— Je bénis le pavillon au beurre en détail, dit l'archevêque en étendant les mains.
— Et au pain... souffle le guide.
— Au beurre en détail et au pain, dit monseigneur Sibour en se reprenant.
— Et à la viande cuite...
— A la viande cuite.
— Et aux ustensiles de ménage...
— Oh ! fit le prélat avec un geste désespéré, je bénis tout !

Au-dessous de la halle qu'on voit, il y a celle qu'on ne voit pas. Nous ne pourrions mieux commencer notre exploration que par celle-là. A minuit les pavillons sont fermés ; mais nous avons à la main le « Sésame, ouvre-toi » qui fait tourner les grilles sur leurs gonds. Une trentaine de mar ches à descendre et nous sommes dans les Caves. [...]

Paul Parfait »