Le très impopulaire arrêté Poubelle
Le 24 novembre 1883, le tout nouveau préfet de la Seine, Eugène Poubelle, signe un arrêté qui oblige les propriétaires parisiens à fournir à chacun de leurs locataires un récipient muni d'un couvercle pour accueillir les déchets ménagers.
Parallèlement, le ramassage des ordures est mis en place. Le préfet a même prévu la collecte sélective : trois boîtes sont obligatoires, une pour les matières putrescibles, une pour les papiers et les chiffons, et une pour le verre, la faïence et les coquilles d'huîtres.
C'est une date-clé dans l'histoire de l'hygiène publique. Pourtant, à l'époque, l'arrêté Poubelle se heurte à une vaste levée de boucliers de la part de la population parisienne... Les chiffonniers, en particulier, sont menacés de perdre leur gagne-pain – et ils sont quelque 40 000 à Paris.
Toute une partie de la presse se montre hostile. Henri Rochefort, dans un violent éditorial intitulé "40.000 affamés" paru en une de La Lanterne du 23 janvier 1884, s'insurge :
« L’ordure qu’il est urgent d’envoyer avant toutes les autres au dépotoir, c’est l’arrêté Poubelle. On y joindrait même son auteur, que nous n’y verrions aucun inconvénient. […] M. Poubelle nous paraît disposer avec une étrange désinvolture de ce qui appartient à tout autre qu’à lui. Ces détritus sont à nous, qui les avons payés quand on nous les a présentés sous forme de victuailles, d’étoffes ou de papier. Il nous plaisait de les abandonner aux chiffonniers ; mais s’il ne nous convient pas d’en faire profiter un entrepreneur désigné par le préfet, notre droit est absolu. »
La Croix du 7 février publie la lettre d'une chiffonnière désespérée par l'arrêté du préfet :
« Je suis chiffonnière, j'ai soixante-dix ans, et je travaille depuis soixante ans, je suis presque aveugle, et mes pauvres os ne me soutiennent quasiment plus. Je meurs de misère : que faire ? Avant l'arrêté Poubelle, je trouvais à peu près de quoi vivre : maintenant, plus rien, rien. Voudriez-vous bien faire savoir à M. Poubelle qu'il me rendrait service en me faisant abattre : c'est le complément nécessaire à sa mesure. Mes remerciements sincères.
Veuve Maurice,
Rue Lesage, n° 6 »
Le Petit Caporal du 20 janvier fait quant à lui paraître un "Chant des Chiffonniers" qui s'en prend nommément à Poubelle :
« Encore un nouvel arrêt
De notre étonnant préfet
C'est une gaffe nouvelle
De Poubelle
De Poubelle
[…]
Faisant un' affair' d’État
De l'enlèvement des tas
Il renverse notre écuelle
Ce Poubelle
Ce Poubelle
Il nous la f... belle ! »
L'arrêté suscite aussi la colère des propriétaires, qui payent de nouvelles charges, et des concierges, obligées d'accomplir des tâches supplémentaires. L'essentiel des décisions du préfet sera pourtant appliqué, et l'exemple de Paris sera peu à peu suivi en province.
Le mot "poubelle", devenu nom commun, entrera en 1890 dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle.