3 siècles de presse à explorer
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La presse ancienne, numérisée, indexée et en ligne, constitue une source privilégiée pour retracer, depuis chez soi, le parcours d’un commerçant. En effet, il nous est révélé en creux au fil des publicités, des avis divers et des annonces commerciales parus dans les titres spécialisés ou les journaux locaux.
Ventes, adjudications, cessions de fonds de commerce, locations, faillites, liquidations judiciaires, séparations de biens, interdictions et conseils judiciaires des sociétés commerciales… Toutes ces annonces légales, relayées par la presse, offrent autant d’opportunités de retrouver la trace d’un commerce ou d’un commerçant. Les annonces de cession de fonds de commerce, en particulier, sont d’une grande richesse comme nous le verrons par la suite. Dans le cas d’une faillite, les publications successives nous livrent le déroulé précis de la procédure judiciaire : déclaration de faillite, remise des titres de créance, vérification de ces titres, formation d’un concordat (i.e. arrangement) par abandon d’actif entre le failli et les créanciers, redditions de comptes, remise de dividendes aux créanciers.
Certains titres, tels que les Archives commerciales de la France, La Gazette des tribunaux, Le Petit Bulletin des tribunaux, La Loi ou Le Droit sont spécialisés dans la publication régulière, généralement hebdomadaire, de ces annonces légales. Qualifiés de journaux d’annonces commerciales, ils figurent évidemment parmi les périodiques à consulter en priorité pour toute recherche d’un commerce ou commerçant. Néanmoins, les journaux locaux ne doivent pas être négligés, comme le révèle le cas concret suivant, puisqu’ils relaient non seulement les annonces légales évoquées mais également toutes sortes de publicités, avis et faits divers associés au commerce.
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Bourges, années 40 : la tradition familiale veut que l’oncle Valère D’Hose ait tenu un café avec sa femme Gisèle. La presse ancienne peut-elle nous aider à approfondir le sujet ? Car de nombreuses questions surgissent naturellement : comment se nommait ce café ? Où se trouvait-il ? Valère et sa femme étaient-ils propriétaires ou simples gérants ? Quand y ont-ils travaillé ?
Bien que le patronyme considéré, d’origine belge, soit relativement rare en France, une simple recherche « D’Hose » dans RetroNews livre plus de 40 000 résultats ! Et pour cause, les termes « chose » et « rose » sont associés à la requête, même en cochant la case « Recherche exacte ». Il est donc nécessaire de préciser la recherche. Pour ce faire, circonscrivons-la au département du Cher grâce au filtre « Lieu de Publication : 18 – Cher » (réservé aux abonnés). Le nombre d’extraits de journaux proposés tombe à 278. L’oncle Valère étant né en 1912, nous appliquons également un filtre sur la période de publication : de 1930 à 1951 (dernière année en ligne). Le nombre de résultats devient raisonnable : 69. Il ne reste plus qu’à parcourir les différentes vignettes affichées, après les avoir triées par date croissante, à l’aide du menu déroulant situé en haut à droite.
En seconde page de résultats, apparaît un premier extrait de journal particulièrement intéressant. Il s’agit des publications de mariage de l’oncle Valère et de la tante Gisèle, parues dans La Dépêche du Berry du 9 août 1936 :
« SAINT-DOULCHARD
du 15 juillet au 31 juillet 1936
…
Publications. – Victor Valère d’Hose, sabotier à Saint-Doulchard et Giselle-Micheline Ravizé, couturière à Saint-Germain-du-Puy. »
Cette trouvaille, hors de notre périmètre de recherche, n’en est que plus appréciée, sérendipité oblige ! Les professions indiquées, tant pour Valère que Gisèle, laissent entendre qu’ils n’étaient pas encore tenanciers d’un café.
Une autre surprise nous attend à l’analyse des résultats suivants. Il s’agit d’une annonce publiée dans La Dépêche du Berry du 28 juillet 1937 :
« A VENDRE
Moto TERROT 2 CV sport
Très bon état – Bas prix
S’adresser à M. D’HOSE, à Saint-Doulchard. »
S’agit-il de l’oncle Valère ou de son frère Oscar, lequel vivait également à Saint-Doulchard d’après le recensement de 1936 ? Qu’importe, dirait le Loup de la Fontaine : « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. »
Les 44e et 45e résultats proposés sont les bons ! Publiés dans La Dépêche du Berry des 28 mai et 13 juin 1941, ces deux avis de cession de fonds de commerce, quasiment identiques, sont particulièrement instructifs :
« Cabinet L. NERAULT
11, rue des Arènes, BOURGES, Tél. 3.09
Suivant acte reçu par Me BORNIER, principal clerc de notaire, suppléant Me DEVAUX, notaire à Bourges, mobilisé, le seize mai mil neuf cent quarante et un, enregistré à Bourges (A.C.), le vingt mai suivant, volume 476 A. n° 417,
Monsieur Jean BESSON, coutelier, demeurant à Bourges, 27, rue du Chariot,
A vendu, par l'entremise du Cabinet NERAULT, à Madame Gisèle RAVIZE, sans profession, épouse de M. Valère-Victor D'HOSE, avec lequel elle demeurait à Bourges, 111, avenue de Paris,
Le fonds de commerce d'Epicerie-Buvette, Restaurant et Chambres meublées, exploité à Bourges, 22, avenue Nationale.
L'insertion au B.O.V. a paru dans le numéro du 4 juin 1941.
Les oppositions, s'il y a lieu, seront reçues dans les dix jours qui suivront l'insertion du présent avis en l'Etude de Me DEVAUX, notaire.
Pour deuxième avis :
(Signé) BORNIER »
Ces deux avis présentent un intérêt généalogique évident puisqu’ils révèlent :
- la date d’achat du fonds de commerce (16 mai 1941) ;
- les références de l’étude qui a retenu l’acte notarié (Me Devaux à Bourges) ;
- les références précises de l’enregistrement de cet acte notarié (A.C. i.e. Actes Civils, 20 mai 1941, volume 476 A, n° 417) ;
- les prénom, nom, profession et adresse précise du vendeur (Jean BESSON, coutelier, demeurant à Bourges, 27, rue du Chariot) ;
- les prénom, nom, profession et adresse précise de l’acheteuse ainsi que l’identité de son conjoint (Gisèle RAVIZE, sans profession, épouse de M. Valère-Victor D'HOSE, avec lequel elle demeurait à Bourges, 111, avenue de Paris) ;
- la nature du fonds de commerce (épicerie-buvette, restaurant et chambres meublées) ;
- l’adresse du commerce (Bourges, 22, avenue Nationale) ;
- les références de la publication au B. O. V. (4 juin 1941).
Ainsi, ces extraits constituent de véritables pépites généalogiques puisque, d’une part, ils répondent succinctement à la plupart des questions initiales et, d’autre part, ils fournissent toutes les clés pour approfondir les recherches dans les archives notariales ou les fonds de l’enregistrement. La consultation des actes associés apporterait alors quelques détails supplémentaires sur la nature du fonds de commerce et sa valeur.
L’abréviation B. O. V. mérite d’être explicitée. Il s’agit du Bulletin officiel des ventes, aussi connu sous son nom complet : Bulletin officiel des ventes de fonds et faillites. Créé en février 1907, il assure la publicité des actes relatifs aux entreprises commerciales et constitue ainsi l’ancêtre du BODACC (Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales), officiellement entré en vigueur en 1968.
Fermons la parenthèse et poursuivons notre recherche. La Dépêche du Berry, dans sa munificence, nous comble de plusieurs annonces commerciales supplémentaires. L’avis du 9 octobre 1941 nous apprend que la tante Gisèle donne en location à Albertine Derouet le fonds de commerce précédent :
Les avis des 1er et 15 février 1942 révèlent que Gisèle s’est ravisée, si j’ose dire, puisqu’elle revend le fonds de commerce acheté huit mois plus tôt :
Gisèle acquiert neuf mois plus tard, auprès d’un cafetier au nom prédestiné, M. Sirot, un nouveau café-hôtel-restaurant dénommé « l’Hôtel de la Coquille », comme l’atteste l’annonce commerciale du 24 décembre 1942 :
Mais elle le revend 6 mois plus tard comme l’indiquent les avis des 6 et 27 mai 1943 :
Achète-t-elle par la suite un nouveau fonds de commerce ou se reconvertit-elle ? Difficile à dire car notre précieuse source, La Dépêche du Berry, se tarit… sa publication cessant en 1944.
Des recherches complémentaires dans RetroNews sur le patronyme de Gisèle (Ravizé ou Ravisé) révèleraient que la tenue d’une buvette était une tradition familiale. Diverses requêtes sur les patronymes des propriétaires précédents ou suivants nous permettraient de découvrir que M. Sirot n’était pas d’une honnêteté à toute épreuve. Enfin, il serait également possible de reconstituer l’histoire de la buvette elle-même, au fil de ses cessions et acquisitions, de ses bals et rixes, de ses fêtes et faits divers. Mais ce serait un autre récit…