En 1889, la spectaculaire et très médiatique naissance du Moulin Rouge
Dès son ouverture au mois d'octobre 1889, le Moulin Rouge s'impose comme un lieu de fête incontournable dans une France avide de plaisirs et de liberté.
Le samedi 6 octobre 1889, un entrefilet annonce dans la presse parisienne l’ouverture d’un lieu de spectacle place Blanche, dans le 9e arrondissement de la capitale : le Moulin Rouge.
Au programme :
Tous les soirs, bal. Les mercredis et samedis, fêtes de nuit. Les dimanches et fêtes, à deux heures, kermesse et bal.
La première nuit de fête étant une réussite en termes de fréquentation, la presse applaudit à l'unisson dès le lendemain.
« Jamais on n'avait vu autant de monde et jamais on ne s'est amusé plus franchement qu'à cette première », commente le pourtant très sérieux Gil Blas, tandis que le chroniqueur du journal nationaliste La Cocarde raconte :
« Le Moulin-Rouge, bâti sur l’emplacement occupé naguère par le bal de la Reine-Blanche, attire de loin les regards par la profusion de ses illuminations.
De grandes ailes rouges, éclairées de lampes Edison, battent l’air de chaque côté du moulin de façade, des constructions s’élèvent, éblouissantes de clarté.
M. Zidler a fait de son établissement un séjour enchanteur ; un grand jardin, fort bien dessiné et dans lequel sont réunis toutes sortes de jeux, balançoires, tirs, donne accès à une splendide salle de bal. [...]
Tout ce que Paris compte d’illustrations demi-mondaines était hier soir chez M. Zidler.
La soirée d’ouverture a été un très gros succès et nous ne doutons pas que cet établissement ne devienne un des endroits de Paris les plus recherchés. »
Enthousiastes, ces chroniqueurs ne se doutent alors pas que le Moulin Rouge est en passe de s’imposer comme le symbole par excellence de la fête dans la France de la Belle Epoque, avide de nouveaux plaisirs et de liberté [voir notre interview sur le sujet].
Les fondateurs du lieu sont deux hommes de spectacles chevronnés à l’intuition réputée légendaire : Charles Zidler et Joseph Oller, déjà propriétaires de l'Olympia, « dont la chance est proverbiale », écrit le quotidien Paris, qui prédit :
« Leur clientèle les suivra parce que c’est l’usage et ensuite parce que le quartier tout entier – un quartier artistique entre tous – réclamait un établissement de ce genre. »
Leur pari est en effet vite gagné. La notoriété du lieu s'avère fulgurante. Bientôt, bourgeois, artistes, mais aussi petits employés ou étrangers de passage viennent s’y encanailler.
Démesure, audace, excentricité sont les maîtres-mots du Moulin Rouge.
De nombreux personnages hauts en couleurs font la renommée du lieu : le pétomane Joseph Pujol y illustre son talent tandis que des danseuses aux noms évocateurs, de La Goulue à Nini Pattes en l'air, déchaînent les passions.
Le journal mondain Fin-de-siècle dépeint l'ambiance survoltée de ces soirées :
« Un cercle compact se forme autour d'elles, et l’on applaudit les hardies envolées de jupons froufroutants ; les coups de pied lancés dans le “tube” d’un grave Anglais ; les claques qui sonnent sur les fesses dodues...
Le voilà, le vrai spectacle du Moulin-Rouge, celui pour lequel on se dérange, celui qui attire tous les étrangers de passage à Paris !
Mais, entre deux quadrilles, les distractions ne manquent pas. Innombrables sont les occasions d’offrir un bock à un tas de petites femmes, la fine fleur de Montmartre, généralement très assoiffées. Si, après le bock, vous avez l’audace d’offrir un louis, oh ! alors, alors !... Il est bien inutile d’insister et vous devez savoir ce qui vous reste à faire. »
Rien n’est trop spectaculaire pour le Moulin Rouge, et au fil de longues nuits arrosées de champagne, des numéros en tous genres laissent le public et les journalistes médusés, tel ce chroniqueur du Figaro encore stupéfait par le « spectacle inouï » d’un homme écrasé par une voiture :
« En lisant les affiches annonçant qu'au Moulin Rouge on allait voir un homme écrasé par une automobile portant cinq voyageurs, je pensai “Quelle bonne plaisanterie !”
Aussi, le soir de la première, je n'ai pu résister à aller trouver M. P.-L. Flers pour le prier de me laisser assister de la scène à ce tour de force invraisemblable. Et, de sceptique, je suis devenu convaincu.
J'ai minutieusement examiné cette sorte de pont destiné au passage de l'automobile formé de grosses poutres en bois, il est à lui seul, je vous prie de le croire, suffisamment lourd déjà pour écraser un homme d'une robustesse plus qu'ordinaire, j'ai bien observé l'homme et le matériel au moment où passe la voiture, et je puis affirmer que tout se passe très correctement, et que c'est bien cet être vraiment surhumain, qui a nom Lionel Strongfort, qui seul, supporte ce poids phénoménal de 2 000 kilos.
J'avoue que j'en suis encore stupéfait par moment, je me demande si ce n'est pas une hallucination ; c'est inouï, incroyable et encore plus. »
En quelques mois à peine, le Moulin Rouge s'imposera comme l’un des lieux parisiens les plus prisés des artistes. Henri de Toulouse-Lautrec [lire notre article à son sujet], en particulier, y puisera une matière telle qu’elle lui inspirera de nombreuses toiles.
Le Moulin Rouge n'aura de cesse de se renouveler au fil des époques, jusqu'à acquérir une renommée internationale et devenir l'un des hauts lieux touristiques de la ville de Paris.