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Spécialiste de l'esclavage, l'historien Marcel Dorigny revient sur les ravages causés par la traite négrière, le combat des antiesclavagistes, et la révolte de Saint-Domingue qui obligea la Convention à adopter le décret d'abolition, en février 1794.
Marcel Dorigny enseigne à l’Université Paris 8. Spécialiste du colonialisme, il a consacré de nombreux ouvrages aux courants antiesclavagistes.
Son dernier ouvrage, « Arts et Lettres contre l’esclavage », est le premier livre d’art consacré à la mémoire des artistes qui ont mis leur créativité au service de l’abolition de la traite et de l’esclavage des êtres humains.
Propos recueillis par Marina Bellot
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RetroNews : Dans leur combat, les abolitionnistes ont toujours distingué la traite de l’esclavage. Comment traite et esclavage s'articulent-ils ?
Marcel Dorigny : La traite négrière est le commerce des esclaves, qui transporte des millions d’hommes des côtes d’Afrique vers les colonies des Amériques et de l'Océan indien. C’est une activité de longue durée, commerciale, qui remplit en main d’œuvre servile les plantations, les mines, etc.
L’esclavage, c’est le résultat de la traite. La traite est là pour fournir des esclaves.
Dans leur combat, les abolitionnistes ont toujours soigneusement distingué les deux. Le mouvement abolitionniste, qui est né de la pensée des Lumières et qui a pris une forme d’organisation politique en Angleterre, puis en France et aux États-Unis, a pour priorité d'abolir la traite, avec une triple argumentation : d’abord, le commerce d’êtres humains est par définition en dehors du droit.
Ensuite, le transport, la traversée, se fait dans des conditions épouvantables : c’est donc une pratique barbare.
Enfin, sur la longue durée, la traite détruit et dépeuple les sociétés africaines. Les esclaves capturés ont entre 15 et 35 ans, ils sont donc dans la force de l’âge, majoritairement des hommes. C’est un prélèvement humain énorme sur l’Afrique, qui déstructure les sociétés. Autre conséquence : la dénatalité. Tout cela fait qu’à la fin du XIXe siècle, quand la traite va finalement s’arrêter, l’Afrique est un continent sous-peuplé, ce qu’on a oublié aujourd’hui.
Les abolitionnistes pensent que les aspects les plus violents de l'esclavage disparaîtront de fait si la traite cesse, car le système de l'esclavage ne vit que par la traite. D’abord parce que l’espérance de vie sur une plantation sucrière est très courte – de 10 à 15 ans. Et puis parce qu’il y a chez les esclaves importés un déséquilibre sexuel : un tiers de femmes, deux tiers d’hommes. Aucune population ne peut se reproduire avec ce déséquilibre. D’autant que les femmes refusent autant qu’elles le peuvent d’avoir des enfants, car l’enfant qui naît est du statut juridique de sa mère. Alors elles avortent dans des conditions épouvantables, ou ont recours à l’infanticide.
Donc, si l’on n’importe pas constamment de nouveaux esclaves, la force de travail diminue automatiquement. La traite est le moteur indispensable du système.
En 1789, la pensée des Lumières se diffuse en Europe, mais les révolutionnaires, qui prônent l’égalité, sont eux-mêmes très divisés sur la question.
La pensée des Lumières, la première à remettre en cause l’esclavage, ne naît pas avant les années 1740. Elle se diffuse certes, mais elle n’est pas au pouvoir. La position de la France en 1789, c’est « toujours plus d’esclaves ».
Il y a une demande très forte dans les colonies, notamment à Saint-Domingue. À la veille de la Révolution, on compte 550 000 esclaves dans la partie française de Saint-Domingue, contre à peine 600 000 pour tous les États-Unis.
L’abolitionnisme politique, qui propose un vrai projet pour sortir de l'esclavage, est un mouvement qui se met en place dans les années 1780. Sa priorité, c’est de parvenir à l’abolition de la traite, qui entraînera selon eux une transformation des sociétés esclavagistes, et qui aboutira à un processus progressif de sortie de l’esclavage. Ce qui est intéressant à souligner, c’est que ce schéma ne s’est appliqué nulle part.
On n’a jamais pu dire à des gens : « vous serez libres dans 10, 20 ou 50 ans ». L’abolition est toujours immédiate.
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Parmi les révolutionnaires, quelles voix portent ce combat pour l’abolition de la traite ?
Les portes-paroles du mouvement abolitionniste sont de la mouvance girondine. C’est au sein de la Société des amis des Noirs qu’on trouve les personnalités qui portent le combat : Brissot, Clavière, Condorcet, l'abbé Grégoire…
Le porte-parole le plus véhément, c’est Mirabeau. C’est quelqu’un de compliqué, qui a plusieurs facettes, mais sur l'esclavage il n’a jamais varié. Il parle haut et fort. Il meurt assez tôt, en avril 1791. Or il avait été chargé par les Amis des Noirs de prononcer un discours à l'Assemblée nationale, pour obtenir un décret d’abolition de la traite.
Il a préparé ce discours avec son équipe, mais il n’a jamais pu le prononcer, à cause d’une stratégie d’obstruction parlementaire des députés pour l’en empêcher. Et donc, ce discours on le connaît par d’autres voies, mais il a été censuré.
Le lobby des colons, mais aussi celui des armateurs – Bordeaux, La Rochelle, Nantes… – sont alors puissants.
Discours de François-Xavier Lanthenas, membre du Club des Jacobins, antiesclavagiste et proche de la Société des amis des Noirs, Les Annales patroitiques et littéraires, 1789
Comment l’insurrection des esclaves de Saint-Domingue, à l'été 1791, ouvre-t-elle la voie à l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies françaises, alors même que les révolutionnaires y sont majoritairement opposés ?
C’est un cas exceptionnel, unique. Saint Domingue est une société esclavagiste massive. Or la société libre y est divisée en deux catégories irréconciliables : les Blancs et les « Libres de couleur ». Cela ira jusqu’à la guerre.
Lors des massacres de début 1791, les esclaves observent la division de leurs maîtres. Les Libres de couleur vont se faire massacrer par les Blancs et ouvrir la voie à l'insurrection d'août 1792.
Ce n’est pas une insurrection ordinaire. C’est une guerre, qui sera incontrôlable. En août 1793, l'esclavage est aboli sur place par le commissaire civil Léger-Félicité Sonthonax, qui n’en a pas le droit mais qui le fait parce qu’il n’a pas d'autre choix.
Avec l’invasion anglaise, espagnole, par terre et par mer, plus la prise de contrôle de l’île par les esclaves eux-mêmes, la seule solution pour ne pas livrer Saint-Domingue aux Anglais, c’est l’abolition, c’est de dire aux esclaves : la République française vous fait libres, défendez-la.
C’est donc une abolition décidée sur place, qui sera ratifiée quelques mois après.
La nouvelle arrive, d'ailleurs, très tardivement en France…
En août 1793, quand l’esclavage est aboli à Saint-Domingue, on élit de nouveaux députés pour représenter la nouvelle population : un Noir, Belley, un Mulâtre, Mills, et un Blanc, Dufaÿ.
Les trois députés arrivent à Paris fin janvier 1794. Ils annoncent la nouvelle et sont immédiatement arrêtés en tant que « représentants d’une colonie rebelle » et mis en prison. Ils y restent cinq jours puis sont libérés – on ne sait pas très bien quelles ont été les tractations, on dit que c’est Robespierre qui les a fait libérer, ce qui est possible mais pas certain.
En tout cas, le fait est qu’ils sont libérés et qu’ils sont admis à la Convention comme députés. Dès lors, il n’y a plus d’autres solutions : on ne peut pas rétablir l’esclavage à Saint-Domingue, l’abolition est donc la seule solution. Le 4 février 1794, le décret d’abolition adopté par la Convention est donc une ratification de ce qui a été fait à Saint-Domingue.
Discours à la Convention de Dufaÿ, « l'un des députés de Saint-Domingue », au sujet de la future abolition de l'esclavage, La Gazette nationale, février 1794
En Guadeloupe, on va mener une véritable guerre. On va « appliquer révolutionnairement », c’est-à-dire par la force, le décret de l'Abolition. La guillotine est dans la cale du bateau qui arrive, et on applique les lois de la Terreur pour les colons récalcitrants.
L’abolition est alors étendue à toutes les colonies françaises, ce qui représente un territoire vaste. Comment cela se passe-t-il ?
En Guyane, il n’y a pas trop de problème : les colons ne sont pas en situation de s’opposer, ce sera ce qu’on appelle une abolition pacifique.
En Guadeloupe, on va mener une véritable guerre. On va l'« appliquer révolutionnairement », comme on dit, c’est-à-dire par la force. La guillotine est dans la cale du bateau qui arrive, et on applique les lois de la Terreur pour les colons récalcitrants.
À la Martinique, occupée par les Anglais depuis juillet 1793, la question ne se pose pas : les colons ont un accord avec les Anglais, qui les protègent de la loi française et donc de l’abolition.
Dans l’Océan indien, les Anglais contrôlent les routes maritimes. Les colons sont bien sûr contre l’abolition. La Convention envoie deux députés, accompagnés d’une dizaine de soldats. Ils arrivent en Île de France (Maurice aujourd’hui), où ils sont reçus comme on reçoit les représentants de la République, avec tous les honneurs. Là, ils annoncent aux colons l’abolition de l’esclavage. On les écoute, et puis on leur dit en substance : « nous aimons beaucoup la France, nous aimons toutes les lois françaises, sauf celle-là ». On les remet sur le bateau et on les renvoie en France. L'esclavage n’a, de fait, pas été aboli dans l’Océan indien. La conséquence, c’est qu’on n'aura pas à le rétablir en 1802.
Saint-Domingue échappera également au rétablissement de l’esclavage. Le général Leclerc, envoyé par Napoléon, comprendra vite que ce n’est pas possible, et il mourra de la fièvre jaune. Son successeur, Rochambeau, voudra à toutes fins aller jusqu’au bout. Il perdra. Une date qu’aucun Français ne connaît, et qui est un jour férié à Haïti : le 18 novembre 1803, date à laquelle Rochambeau capitule à la bataille de Vertières, ce qui ouvrira la voie à l’indépendance quelques semaines plus tard, le 1er janvier 1804.
Dans la rubrique des « Nouvelles étrangères », mention des « biens séquestrés » du général Rochambeau et de ses hommes à Saint-Domingue, La Gazette, décembre 1803
Dans votre dernier ouvrage, vous dites que les œuvres d'art ont été au moins aussi importantes que les discours dans cette lutte pour l'abolition...
Mon livre met en avant le rôle des artistes dans la lutte contre l'esclavage. Dès l'époque qui nous intéresse, il y a des œuvres qui marquent les esprits : des portraits de Toussaint Louverture par exemple, des tableaux qui représentent des chiens chasseurs d'esclaves, ou encore le fameux portrait du député noir Belley en habit de la République.
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Le dernier ouvrage de Marcel Dorigny, Arts et Lettres contre l’esclavage, est paru aux éditions Cercle d'art en mai 2018.