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1934 : mise en service de la « ligne sanglante » Congo-Océan

le par - modifié le 05/08/2020
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Prouesse technique et humaine, la ligne de chemin de fer Congo-Océan relie le port de Pointe-Noire sur l'océan Atlantique à Brazzaville. Construite entre 1921 et 1934, elle est longue de 510 km. Elle reste dans l'histoire comme la « ligne sanglante » qui vit la mort sur ses chantiers de 15 000 à 30 000 ouvriers.

Un gigantesque projet pour désenclaver la colonie

Dans Le Journal du 17 novembre 1921 à la rubrique intitulée « La semaine coloniale » Victor Augagneur, gouverneur de l’Afrique Équatoriale Française, en séjour à Paris déclare que « les moyens de transport et l’hygiène des populations » sont « les deux facteurs de développement d’une colonie ». 

Il ajoute que ces colonies « ne pourront vivre et payer leurs frais d’administration que si elles possèdent les moyens d’évacuer des quantités considérables de produits ; or à l’heure présente tout doit passer par le chemin de fer du Congo belge ou par d'autres itinéraires. 

Dès 1921 il annonce que le chemin de fer est commencé : en effet « toutes les études sont achevées ; l’infrastructure est construite sur vingt-cinq kilomètres du côté de Brazzaville ; et du côté de la mer, à Pointe-Noire, les premiers travaux ont été entrepris, et un important matériel a été débarqué. » Mais faute de moyens et d’investissements, les travaux traînent en longueur.

Lorsque le 20 septembre 1924 Le Petit Journal s'entretient avec M. Antonetti nouvellement nommé gouverneur de l’Afrique Équatoriale Française par Édouard Daladier, ministre des Colonies, le gouverneur affirme à la une d’un ton déterminé « Notre Afrique équatoriale deviendra prospère quand elle aura sa voie ferrée. ».

Il la considère alors comme « la Cendrillon de la métropole »  et entend relancer le chantier « sans grever la métropole et la colonie de charges trop lourdes. » Il explique que « la voie passe par Mindouli et Loudina pour rejoindre la mer à Pointe-Noire. Ce sont les régions des mines de cuivre, du coton, du cacao, du café, de l’ivoire, du caoutchouc trouvant enfin un débouché facile ».

Esquisse des itinéraires entre Brazzaville, Manianga et Loango par J. Cholet, chef de la zone du Niari, 1885 - source : Gallica-BnF

Un chantier présenté comme idéal

Le Temps consacre un supplément illustré le 31 juillet 1925 à l’Afrique française et consacre deux pages au chemin de fer en retraçant l’historique du projet. 

Après avoir loué la détermination du gouverneur et la grandeur des aménagements, il consacre quelques lignes à « la main d’œuvre ».

« Près de 10 000 indigènes travaillent actuellement sur les différents chantiers et, sous les directives du gouverneur général Antonetti toute une série de mesures d’hygiène sont prises qui assurent à ces travailleurs une situation matérielle convenable ; des camps modèles sont installés, les hommes mariés peuvent emmener leur femme, et une surveillance médicale fort bien comprise, permet d’employer les travailleurs suivant leur force physique. »

Moyen Congo : femmes bavili, 1924 - source : Gallica-BnF

Une inauguration controversée

Le 10 juillet 1934 a lieu l’inauguration solennelle du chemin de fer Congo-Océan. Les journaux vantent l’œuvre coloniale et les réalisations techniques.

Ainsi l’Intransigeant du 11 juillet 1934 parle d‘une « magnifique victoire sur un bled que l’on pouvait croire inviolable », célèbre « une grande journée de la colonisation nationale ».

Le Petit Journal du 11 juillet 1934 énumère les chiffres pour impressionner : « 512 kilomètres », « 92 ponts et viaducs », « 10 millions de mètres cube de terrassement »… « Les 60 kilomètres de lignes à travers le Mayumbe constituent une des plus belles réalisations du génie civil français » et il passe sous silence les exactions commises au nom de la colonisation. 

Heureusement d’autres voix se font entendre. L’Humanité rappelle le 10 juillet 1934 que c’est « une des illustrations les plus odieuses, les plus révoltantes de la colonisation ». Il rappelle que les hommes qui ont construit le Congo-Océan « furent traités avec une brutalité inouïe, si inhumaine, que VINGT-CINQ MILLE EN SONT MORTS EN MOINS D’UNE ANNEE. ».

Le journal ira jusqu'à lancer un appel aux travailleurs français qui « vengeront les dizaines de mille de nègres assassinés au profit du grand capital français ».

Oubanghi-Chari : cases près d'Alindao, 1925 - source : Gallica-BnF