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1830-1962. Voyageuses et voyageurs convergent dans la capitale de l’Algérie française ; qu’ils soient riches hiverneurs, artistes ou écrivains, habitants aisés de la métropole ou de l’Algérie, ils sont majoritairement français. La traversée de la Méditerranée, encouragée par les autorités, met le tourisme au service du projet colonial.
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Partenariat Histoire
L'APHG sur RetroNews !
Ces séquences pédagogiques sont réalisées chaque mois en partenariat avec l'Association des Professeurs d'Histoire-Géographie (APHG) par des professeur·e·s membres de l'association.
Dans les programmes de l’enseignement secondaire :
Classe de Quatrième (« L'Europe et le monde au XIXe siècle : Conquêtes et sociétés coloniales »)
Classe de Première générale (« La Troisième République avant 1914 : un régime politique, un empire colonial »)
Classe de Première technologique (« La Troisième République : un régime, un empire colonial » / sujet d’étude « Vivre à Alger au début du XXe siècle »)
Médina sous influence ottomane avant sa prise par les Français en 1830, Alger est rapidement marquée par la domination coloniale : le paysage de la ville autant que la société urbaine connaissent des bouleversements lourds et brutaux. Vitrine de l’empire, elle devient une destination prisée par les voyageurs, dont les pratiques et les représentations renseignent sur la manière dont ils vivaient et imaginaient Alger.
Au fil du XIXe siècle, un véritable tourisme colonial s’installe, nourri par la mode orientaliste et contribuant à faire de la ville un port méditerranéen important. Hommes ou femmes, riches hiverneurs, artistes ou écrivains, habitants aisés de la métropole ou colons venus du reste de l’Algérie : Alger est toujours plus arpentée et visitée au fil de la période. Le flux se tarit brutalement pendant la guerre d’indépendance.
Dans une perspective conjuguée d’histoire coloniale, culturelle et sociale, des sources comme la presse ou encore les guides touristiques peuvent être mobilisées pour nourrir une réflexion avec les élèves sur le voyage à Alger entre 1830 et 1962.
Question :
En vous appuyant sur l'extrait du guide touristique et sur l'affiche publicitaire : comment se rend-on à Alger au tournant des XIXe et XXe siècles ?
Avant les débuts de la domination coloniale, Alger n’est pas méconnue des Européens. Plusieurs voyageurs s’y sont déjà rendus, à l’image du député de la Seine Alexandre de Laborde, qui publie dès avril 1830 un Guide des Français à Alger. Tombée aux mains des Français en juillet de cette même année, elle est très rapidement colonisée ; sa mise en tourisme participe pleinement à son rattachement à l’empire colonial français.
Le tourisme, phénomène de masse né en Europe et favorisé par l’essor des transports, est rapidement encouragé par les autorités françaises en Algérie. Dans des sources imprimées à destination des touristes potentiels de plus en plus diffusées comme la presse ou les guides de voyage, un discours cohérent et normatif sur la ville est délivré, forgeant des images plus ou moins stéréotypées d’Alger « la blanche ».
« Alger. Alger la Blanche ! La Ville blanche ; c'est l'agrément souverain qu'il y a à vivre dans Alger, dans le département d'Alger, dans tout ce pays qui rappelle, à travers les âges, l'histoire la plus pittoresque, avec ses changement de deys et ses pirates, maître de la Méditerranée. C’est aussi la séduction de ces légendes maraboutiques telles que l’Islam peut seul en fournir dans un merveilleux dont l’imagination semble découler de celle des contes des Mille et une Nuits et des souvenirs chrétiens ! Oui, des souvenirs chrétiens, car l’existence du christianisme s’affirme presque dès la première heure sur la terre nord-africaine, avec ses martyrs et ses saints. Et c’est aussi, séduction suprême en sa constante vanité, la magnificence des jardins remplis de roses, les parfums de la mer et des mandariniers, la douceur du ciel bleu, la magie des plaines, des vallées et des montagnes… »
Question :
Comment Alger est-elle décrite dans La Grande Revue du 1er janvier 1924 ?
La cité est façonnée par le pouvoir colonial comme une ville européenne : il ne subsiste des destructions que peu de vestiges de la ville ottomane, et les trouées dans le tissu urbain sont semblables à celles que connaissent les autres villes françaises au temps de l’haussmannisation. D’ailleurs à partir de 1900, d’un point de vue démographique, la ville devient majoritairement peuplée d’Européens. Les pratiques citadines des voyageurs sont les mêmes qu’à Paris - ils séjournent dans des hôtels, vont au théâtre, lisent la presse, fréquentent les cafés. Jusqu’à la Belle époque, ils pratiquent l’hivernage. Ils viennent profiter du soleil méditerranéen, profiter de la qualité de l’air algérois. En 1931 est même créé l’OFALAC (Office algérien d'action économique et touristique), chargé d’encourager le tourisme.
Question :
A qui s’adresse cette publicité, et en quoi montre-t-elle que les touristes conservent des habitudes européennes lorsqu’ils voyagent à Alger ?
Ainsi, la destination promet la combinaison du confort moderne et l’authenticité locale. Outre les publicités, des cartes et des plans sont souvent proposés aux touristes, indispensables pour s’orienter dans la ville.
Question :
Qu’observez-vous sur l’orientation de cette représentation cartographique d’Alger ?
Les tentatives de synthèse des architectures européenne et locale donnent lieu à l’éclosion du style néo-mauresque, au tournant du XIXe et du XXe siècle. Abondamment mise en scène dans l’iconographie relayée dans les sources imprimées, la Grande Poste est construite en 1910. Dans un décor néo-mauresque, il est ainsi permis aux touristes de goûter à un Orient exotique mais contrôlé par la domination coloniale.
Le voyage à Alger se singularise par une évidence : la cohabitation avec une population colonisée et dominée, incarnée par la ville dite « indigène ». L’histoire précoloniale de la ville et la persistance des habitants musulmans et juifs sont l’objet d’une véritable fascination pour les touristes, teintée d’orientalisme. Des événements comme l’expédition d’Égypte ou la guerre d’indépendance des Grecs avaient, dès les premières décennies du XIXe siècle, contribué à l’essor de cette mode orientaliste qui irrigua les arts et les lettres dans toute l’Europe.
Cette quête d’Orient est ainsi l’une des raisons principales pour laquelle on voyage à Alger, sur les pas du peintre Eugène Delacroix ou encore du compositeur Camille Saint-Saëns. Les hommes de lettres qui se rendent à Alger – souvent par ailleurs journalistes, militaires ou encore membres de l’administration coloniale – écrivent leurs impressions sur la ville, comme Guy de Maupassant, Théophile Gautier ou André Gide.
Question :
En vous appuyant sur l’illustration « Alger – une sorcière des rues » extraites de L’Univers illustré du 30 mars 1895, et sur la promotion de l’hiver en Algérie par E. Herzig : quels sont les poncifs orientalistes associés au voyage à Alger ?
Les fantasmes nourris par l’orientalisme participent du développement de la prostitution algéroise, surtout concentrée dans la haute Casbah ; elle assimilée à une attraction touristique. La loi Marthe Richard qui impose la fermeture des maisons closes françaises en 1946 n’est d’ailleurs pas appliquée à Alger. La ville d’Alger est d’ailleurs souvent personnifiée, et figurée en femme voluptueuse et séduisante que les Français seraient parvenus à conquérir.
Les représentations littéraires et artistiques d’Alger contribuent à renforcer la dichotomie entre les quartiers des colonisés et ceux des colons ; ils distinguent souvent d’un côté le peuple algérien avec ses croyances, ses coutumes, ses modes de vie et ses mystères, et de l’autre les Français d'Algérie qui vivent à l’européenne. C’est le quartier de la Casbah qui cristallise tous ces stéréotypes et qui est propice à enflammer l’imagination des voyageurs.
Même si les violences de la domination coloniale ne sont pas toujours visibles dans les sources qui permettent d’étudier le tourisme à Alger, ce voyage peut aussi être l’occasion pour certains d’exprimer des points de vue critiques sur la colonisation, comme c’est le cas de Guy Maupassant, qui écrit en 1881 dans Le Gaulois.
« Nous sommes restés des conquérants brutaux, maladroits, infatués de nos idées toutes faites. Nos moeurs imposées, nos maisons parisiennes, nos usages choquent sous ce ciel comme des fautes grossières d'art, de sagesse et de compréhension. Tout ce que nous faisons semble un contre-sens, un défi à ce pays, non pas tant à ses habitants qu'à la terre elle-même. »
Entre 1954 et 1962, la guerre d’indépendance, alors qualifiée de simples « événements », donne lieu à une raréfaction des voyageurs, alors que leur présence contribuait à glorifier l’action coloniale française en Algérie. Ce tourisme a contribué à forger l’imaginaire français d’Alger pendant près de 130 ans ; les sources imprimées ont participé d’une culture de masse qui reflète, diffuse et légitime une façon de voyager à Alger, souvent teintée de colonialisme. Ce déplacement avait une charge symbolique forte qui demeure toujours vivace pour de nombreux Français, héritiers des mémoires plurielles de la période coloniale.
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Pour en savoir plus :
Bouchene Abderrahmane, Peyroulou Jean-Pierre, Tengour Ouanassa Siari, Thenault Sylvie, Histoire de l'Algérie à la période coloniale, Paris, La Découverte, 2014
Laurent Franck, Le voyage en Algérie. Anthologie de voyageurs français dans l’Algérie coloniale, 1830-1930, Paris, Robert Laffont, 2008
Zytnicki Colette, L’Algérie, terre de tourisme, Paris, Vendémiaire, 2016
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Sihem Bella est professeure d’histoire-géographie (Académie de Lille) et travaille sur Alger au XIXe siècle dans le cadre d'une thèse en histoire contemporaine (IRHiS, Université de Lille). Elle est membre de l’APHG (Association des Professeurs d’Histoire-Géographie).
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