Chronique

L’affaire de Fiume : vers une révolution nationale ?

le 16/09/2020 par Nicolas Offenstadt
le 07/08/2018 par Nicolas Offenstadt - modifié le 16/09/2020
Le « poète dictateur » Gabrièle D'Annunzio entouré de légionnaires à Fiume en 1919 - Source Wikicommons

Septembre 1919. Avec ses partisans, le poète nationaliste italien Gabriele D'Annunzio prend la ville de Fiume, que les Alliés souhaitent libre et qu'il entend annexer à L'Italie. Les journalistes français couvrent alors l'équipée révolutionnaire du « poète dictateur » jusqu'à la libération du territoire par les troupes italiennes. Chronique de l'historien Nicolas Offenstadt.

L’Italie des années 1918-1920 connaît des tensions politiques considérables. Le mouvement ouvrier lutte pour de meilleures conditions de vie et une transformation des structures sociales et politiques. Les conservateurs se mobilisent, utilisant les troupes fascistes qui exercent une violence croissante contre leurs opposants à partir de 1920. L’idée d’une « victoire mutilée »  parcourt le pays : contrairement aux espérances suscitées par le traité de Londres et l’entrée en guerre, l’Italie n’obtient pas tous les territoires attendus, en particulier en Dalmatie.



Le poète nationaliste, gloire de la scène littéraire d’avant 1914, Gabriele D’Annunzio se transforme en putschiste en envahissant avec des volontaires, anciens combattants, le territoire de Fiume sur le côté Adriatique (aujourd’hui Rijeka en Croatie). Bien que dans un environnement slave du Sud, la ville était largement de peuplement italien. C’est l’exaltation de l’« Arditisme », de l’esprit « Arditi », ces soldats des troupes d’assaut de la Grande Guerre, dont l’association devient le fer de lance d’une nouvelle Italie conquérante.

 

Fiume est resté en dehors des territoires promis au traité de Londres, mais les troupes italiennes l’occupent cependant en novembre 1918, au vu de son statut incertain avec la dissolution de l’Autriche-Hongrie. Elles doivent finalement quitter la ville sur décisions des alliés. Mais les missions militaires de ces derniers, présentes sur les lieux, ne résistent pas véritablement à l’expédition de D’Annunzio. 

« La guerre recommence donc ? » interroge Le Journal sous la plume d’André Tudesq, qui s’est rendu sur place. Le journaliste met en valeur le caractère épique de l’équipée, et le charisme et la détermination de D’Annunzio - « Fiume ou la mort » -, devant lequel se précipiteraient les femmes de la ville  :

Le « poète dictateur », comme le nomme encore Tudesq, entend proclamer l’annexion de Fiume à l’Italie, organise un gouvernement corporatiste, ouvre à des libertés de mœurs. Certains hommes de gauche, tel le penseur marxiste, au cœur des luttes, Antonio Gramsci, pensent que cette « révolution » nationaliste peut servir la cause sociale. Il écrit en janvier 1921 :

« Fiume était la preuve quotidienne et éclatante de la situation de faiblesse, de prostration, d’incapacité de gouverner de l’Etat italien bourgeois italien [...] quelques citoyens privés suffisaient à paralyser les engrenages les plus délicats et vitaux ».

D’Annunzio obtient de nombreux soutiens, y compris dans l’armée, comme le souligne ce reportage de L’Excelsior.

Les négociations internationales mettent cependant fin à l’aventure des hommes de D’Annunzio. Le traité de Rapallo en novembre 1920, signé avec l’État des slaves du Sud, assure l’autonomie de Fiume, ville libre. Dans La République française, L. Marcellin, hostile aux menées de d’Annunzio, fait une analyse de la situation internationale qui souligne le nouveau rôle politique qu’entend jouer l’Italie dans la région.

Ainsi, le gouvernement envoie-t-il la troupe contre les volontaires de Fiume : c’est le « Noël de sang », rapporté dans le Petit Parisien du 29 décembre 1920, qui dénombre les victimes d'une lutte « fratricide » :

« Les destins tragiquement s'accomplissent et le sang coule à Fiume. Il était fatal qu'il coulât un jour. Tous ceux qui, dans Fiume, avaient vu et entendu Annunzio, homme de feu, verbe de feu, savaient bien que les choses, là-bas, allaient vers l'irréparable. [...] La lutte à commencé entre des frères qui ne sont pourtant pas des frères ennemis, entre des soldats qui, d'un côté comme de l'autre de la barricade, se sacrifient à une même patrie. »

« Fiume et l’Italie sont en guerre » titrait  L’Ouest-Éclair le 3 décembre.

Les Fascistes, en concurrence avec D’Annunzio, ne font rien pour s’y opposer. C’est une autre « révolution » qui est alors en marche, et qui annexera Fiume...

Nicolas Offenstadt, historien, maître de conférences à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de la Grande Guerre.

 


En partenariat avec France Inter, le journal La Croix et la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale

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