« Marcel Paul révèle les horribles punitions infligées à Buchenwald », L’Humanité, 21 avril 1945
Dès l'arrivée des Américains, un comité de détenus prend les rênes du camp. Il prend un certain nombre de décision. Un conseil du camp est formé, chaque nation y étant représentée au prorata de ses ressortissants présents dans le camp : 1 pour 1 000 internés. Il y a alors 2 900 Français dans le camp, et quelque 4 000 Juifs qui ne sont pas identifiés comme tels, mais selon leur nationalité. Le comité est coiffé par un bureau exécutif. Six commissions sont formées : sécurité, alimentation, médecine, habillement, administration du camp. Toutes les fonctions administratives seront occupées par des détenus. Ils protégeront le camp, à l'extérieur contre les SS et à l'intérieur contre les « bandits ».
La sixième commission est en charge de l'information. Elle jouera le rôle d'un bureau de presse orientant journalistes, photographes, cameramen.
Le 23 avril 1945, douze jours après la libération du camp, « l’assemblée internationale des journalistes et assimilés à la presse des anciens internés du camp de Buchenwald » se réunit dans la salle de cinéma. « Journalistes, écrivains, artistes, photographes et assimilés, anciens prisonniers de Buchenwald, originaires de tous les pays, combattants antinazistes [sic] et antifascistes de Buchenwald » approuvent à l'unanimité les rapports qui sont présentés « sur l'organisation immédiate d'un Bureau international de presse, d'un service de documentation et d'un service d'information du camp de Buchenwald », selon les termes retrouvés dans les Archives du camp de Buchenwald.
Ainsi les choix des divers reportages ne doivent peu à une quelconque spontanéité et beaucoup aux directions indiquées aux divers journalistes.
Jean-Baptiste Lefebvre, officier de liaison français au XXe groupe d'armée française, le premier officiel allié à entrer à Buchenwald, raconte comment les journalistes français se sont précipités vers lui, demandant à s'entretenir en particulier :
« Ils étaient déjà réunis autour d'une table pour prendre des notes.
Parmi eux nous remarquons Maurice Nègre, de Havas, n° 81 505/10B ;
Rémy Rourre du Temps, N° 52 532/36 ;
Gandrey Rety, de Radio-Journal, n°40 274/14B ;
René Marmot, d'Associated press, n°42 274/10B ;
Théo Burlet, de Keystone, n°7257/31 ;
Smoulland de La Garonne, n°53253/31A. »
–Jean-Baptiste Lefebvre « Un texte inédit sur la libération de Buchenwald », annexe aux Jours de notre mort de David Rousset, 1946.
Il ne mentionne pas Christian Ozanne, de Havas, ou Eric Schwab, le journaliste de l'AFP qui couvre l’avancée des armées alliées en Allemagne et prend un cliché intitulé : « La presse clandestine à Buchenwald ».
Il n'y a donc rien de spontané dans la façon dont les journalistes, photographes, cameramen rendront compte de Buchenwald, puisque leurs reportages seront orchestrés par ce bureau de presse.
À Buchenwald, il y a le « grand camp », celui où la vie est organisée et où il est possible de survivre, pour certains dans une condition physique acceptable. Une partie des photos d'Eric Schwab en témoignent. Il y a aussi le « petit camp ». Le contraste est saisissant entre les hommes du grand camp, interviewés par la presse ou photographiés, qui ont un nom et les anonymes qui figurent d'autres photos prises notamment par par Schwab. Le « grand camp », vivable, est séparé par une grille de barbelés qu'on distingue dans certains photos, du « petit camp » où ont été entassés les évacués d’autres camps, les invalides, les Juifs, les Tsiganes qui y pourrissent dans un état indescriptible.
Des photos sont prises au bloc 61, le bloc de l’infirmerie. Ces photos – et elles seules – sont devenues des icônes, particulièrement l'une d'elle, le « dysentrique [sic] mourant » (c'est ainsi que Schwab légende cette photo). L'homme est photographié en deux cadrages différents : un visage décharné et comme grimaçant, au nez que la maigreur rend proéminant, celui d'un homme qui semble ramper de sa couchette sur ses avant-bras qui ne sont qu'os. À sa gauche, une écuelle. Cette photo illustre la Une de Franc Tireur (27 avril 1945) ; est choisie pour la couverture du Magazine français sur les crimes nazis (mai 1945) ; pour la carte postale éditée par l'ANACR et la FNDIRP (1952) ; recadrée sur le seul visage, elle fait la couverture de l'ouvrage de Dominique Decèze, L'Enfer nazi. L'esclavage concentrationnaire (FNDIRP, 1979).
Une troisième série de photos témoigne elle aussi de ce que le bureau de presse décida de montrer de montrer aux journalistes. Petit à petit, ce qui avait été initié à Ohrdruf s’institue. Un rituel de la visite, une manière de tourisme de l’horreur. Des guides, le plus souvent des prisonniers qui ont appartenu à l’organisation clandestine du camp, montrent aux soldats, aux journalistes, aux officiels, les fosses communes, les crématoires, dont une porte ouverte permet de voir, de photographier, de filmer un corps en partie consumé, et des objets dont un fouet servant à torturer. Ils racontent des histoires d’héroïsme, de sacrifice, d’horreurs.