19 avril 1943 : soulèvement du ghetto de Varsovie
En avril 1943, le soulèvement du ghetto de Varsovie est réprimé dans un terrible bain de sang. Les rares journaux libres français font le récit ému de cet événement qui deviendra le symbole de l'esprit de résistance à la barbarie.
19 avril 1943. 850 soldats allemands pénètrent en force dans le ghetto juif de Varsovie pour le liquider. 3 000 résistants les attendent de pied ferme. 600 seulement disposent d'armes à feu. Aucun n'a de formation militaire.
Il faut remonter trois ans plus tôt pour comprendre la souffrance où cette révolte désespérée puise ses racines.
En novembre 1940, quelques mois après l'invasion de la Pologne par les Allemands, les Juifs de la capitale polonaise et de ses environs ont été rassemblés dans un quartier transformé en ghetto et isolé du reste de la ville par des barrières, des murs et des façades aveugles. Ils sont 500 000 à être confinés, affamés, exploités.
L’Écho d’Alger, l’un des seuls journaux français à paraître pendant toute la durée du conflit – il est édité hors des frontières métropolitaines, à Alger donc – décrit les effroyables conditions de survie des habitants du ghetto de Varsovie, dans un article paru deux mois après le soulèvement :
« Le ghetto de Varsovie : un camp de concentration construit par l'envahisseur où l'on a parqué toute la population juive. On a élevé de grands murs. On a enfermé là ces misérables, isolés du reste du monde, seuls les protecteurs y avaient droit de cité.
Et commencèrent alors, à l'abri de toute indiscrétion, les tortures rapides et lentes, le massacre à petit feu de milliers de créatures humaines. [...]
Ce furent donc d'abord les torturés à longue échéance, la mort distillée goutte à goutte : le manque d'hygiène, le froid, la faim, une livre de pain par semaine. Les épidémies ne tardèrent pas à se déclarer. Il en mourait par centaines, hommes, femmes et enfants. On ramassait les cadavres dans la rue.
On ramassait les cadavres dans la rue, de pauvres gens morts de maladie, de faiblesse, de faim, car l'Allemagne lutte pour le bonheur des hommes. »
En juillet 1942, les Allemands entament sur le territoire polonais ce qu'ils nommeront la « Grande déportation ». Des milliers de personnes sont transférées chaque jour vers le pseudo-camp de travail de Treblinka – en réalité, l'un des plus grands camps d'extermination en activité. La situation devient de plus en plus désespérée pour les habitants du ghetto.
« Au ghetto de Varsovie la vie devint intenable, impossible de fuir, nuit et jour les S.S. étaient là, avec leurs mitrailleuses braquées, et nuit et jour des files de malheureux étaient menées, mitraillette au poing, à l'abattoir. On en tua ainsi 100 000 en une semaine.
Sur 250 000 Polonais évacués de la ville, 20 000 seulement parvinrent aux travaux forcés du front russe. Le témoignage des chiffres est dur : sur quatre millions de Juifs en Pologne, il n'en restait que 300 000.
Et c'est alors que commença la résistance. »
En janvier 1943, des groupes de résistants se forment en effet et s'opposent par la force aux déportations ; le 18 janvier 1943, après quatre jours de combats de rue, le ghetto est paralysé et les déportations momentanément suspendues.
Face à cette rébellion imprévue, le chef de la SS Heinrich Himmler donne l'ordre à son représentant en Pologne de détruire définitivement le ghetto. Sa lettre du 16 février 1943 ne laisse aucun doute :
« Pour des raisons de sécurité, j'ordonne que le ghetto de Varsovie soit détruit […] après que tous les éléments de maison ou les matériaux ayant de la valeur ont été récupérés. »
Ce 19 avril 1943, lorsque les soldats allemands pénètrent dans le ghetto, les résistants tentent le tout pour le tout : certains essaient de bloquer les Allemands à l'entrée du quartier, d'autres se cachent où ils le peuvent.
Pris de court, le général SS Jürgen Stroop, qui dirige l'opération, ne tarde pas à réagir : 2 000 hommes et des chars arrivent bientôt en renfort. La riposte est terrible. Les immeubles sont systématiquement incendiés, du gaz est propulsé dans les souterrains pour en déloger les résistants, immeuble par immeuble, cave par cave.
Certains tiennent pendant un mois. Quelques miraculés parviennent à s’échapper par les égouts. La grande majorité meure ou se suicide.
« Que peuvent faire des malheureux désarmés contre les Panzer Divisionen ? », interroge avec émotion L'Écho d'Alger :
« [Leur] destin était écrit d'avance.
Mais le destin d'Hitler est lui aussi écrit d'avance, car celui qui viole cyniquement les lois les plus antiques de l'humanité, celui qui entre en lutte contre l'Univers et contre les dieux ne saurait espérer une éternelle immunité.
Il n'est qu'un homme après tout. »
Moins de deux ans plus tard, le sort d’Hitler est bel et bien scellé : acculé, il s’est suicidé dans son bunker le 30 avril 1945.
À Varsovie, la vie a repris sur les décombres de l’ancien ghetto.
Survolant la capitale polonaise, le journaliste et historien Georges Storia en fait dans le journal communiste Ce soir cette apocalyptique description en juillet 1945 :
« Du haut des airs, Varsovie est une gigantesque écumoire criblée de trous alignés de part et d'autre le long des avenues. C'est une vision d'épouvante qui vous coupe le souffle.
À perte de vue, des pâtés de maisons se succèdent avec leurs vastes aires fracassées, leurs façades effondrées et découpées par des festons bizarres. L'œil cherche en vain un immeuble qui ne soit pas détruit. [...]
Au centre même de ce tableau de désolation, on aperçoit un cercle d'une couleur rouge brique : c'est l'ancien ghetto de Varsovie que les Allemands ont complètement rasé ; l'emplacement se détache sur le reste des ruines. Pas la moindre trace n'est restée de ce quartier si ce n'est les matériaux de construction pulvérisés par les destructions à la dynamite. »
Et conclut sur cet espoir :
« Varsovie est une ville décidée à renaître de ses cendres. »