Écho de presse

Enquête française de 1936 : « Que pensent de nous les autres peuples ? »

le 23/06/2020 par Pierre Ancery
le 20/11/2018 par Pierre Ancery - modifié le 23/06/2020
Carte de France publiée par Fernand Nathan, 1931 - source : Gallica-BnF
Carte de France publiée par Fernand Nathan, 1931 - source : Gallica-BnF

Trois ans avant la Seconde Guerre mondiale, le journaliste Georges Oudard se lance pour L'Intransigeant dans un tour d'Europe. Avec une question récurrente, posée à tous nos voisins : « Quelle image de la France avez-vous ? »

Le 31 juillet 1936, L'Intransigeant, quotidien centriste, annonce une grand enquête menée par le journaliste Georges Oudard :

« Que pensent de nous les autres peuples ? C’est à cette question que répond franchement, clairement et loyalement la grande enquête menée dans quelques-uns des principaux pays par GEORGES OUDARD, qui est un de ceux qui connaissent le mieux l’Europe. »

« Que pensent de nous les autres peuples ? » : trois ans avant que l'Europe ne s'embrase et que les nations ne se dressent à nouveau les unes contre les autres, la question mérite d'être posée. Le journaliste, tâtant le pouls de sept pays différents, y répondra avec toute la franchise annoncée par le quotidien – mais aussi avec une note de chauvinisme très marquée.

 

À noter que Georges Oudard, par ailleurs historien et écrivain, était un homme de droite, proche des milieux conservateurs. Sous l'Occupation, il entrera dans la Résistance et fondera le journal La France intérieure, paru d'abord clandestinement en 1944. Élu à la Libération conseiller de l'Union française, il comptera ensuite parmi les proches soutiens du général de Gaulle.

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Dans le premier épisode de la série, il se penche sur le cas de l'Allemagne nazie.

« Je n’ai rencontré en Allemagne que d’honnêtes gens affligés ou offusqués d’être accusés de nous haïr et convaincus que nous n’avions pas renoncé à leur vouer une haine féroce. Et pourquoi, soupirent les bonnes âmes, se détester de la sorte au lieu de chercher à s’accorder ?

 

– Vous nous connaissez assez, me confiait un Berlinois cultivé, pour savoir qu’aucun pays n’exerce sur nous une aussi vive attirance que la France. C’est une attirance presque physique. »

Mais Oudard note surtout l'empreinte du nazisme sur les mentalités, et déplore que les jeunes générations n'admirent pas la France :

« Nous avons perdu dans le domaine de la culture et de l’art un terrain que nous ne regagnerons jamais puisque les nouvelles générations sont résolument anti-intellectuelles. L’éducation du caractère constitue désormais la base de l’enseignement. Les soucis raciaux et la discipline de corps y ont pris une place prépondérante.

 

La jeunesse qui nous juge sous cet angle étroit, ne peut avoir que du dégoût pour un peuple qui traite les nègres en égaux et voit sans frémir de purs aryens se marier non seulement avec des juifs, mais encore avec des communistes, des marxistes et des franc-maçons ! »

Les Berlinois interrogés regrettent ainsi que « la vipère bolcheviste » soit si prégnante en France :

« Quelqu’un a même eu le front de me prédire qu’un jour les Français sensés appelleraient Hitler à leur secours et accueilleraient les troupes du Reich, venues les délivrer du bolchevisme, par des acclamations et en leur dressant des arcs de triomphe ! »

Dans son deuxième article, le 1er août, Oudard évoque la Pologne, pays allié de la France et selon lui résolument attaché à cette dernière.

« Il y a quelques années, une nuit, à Poznan, je hélai un fiacre. Ayant eu l’étourderie de m’adresser au cocher en français, l’homme se mit aussitôt à bondir et à gesticuler de joie. Dans un charabia impossible, il m’expliqua s’être rendu à nos troupes, du côté de Lens, pendant la guerre, quand il était, bien malgré lui, soldat allemand.

 

– Über alles ! ricanait-il en se trémoussant sur son siège, nein, nein : unter alles !

 

Et je l’entends encore s’exclamer d’une voix pleine d’extase, les bras au ciel :

 

– France ! Dieu !

 

Une autre fois, j’étais à Pinsk, au milieu de ces marais sauvages qui forment une des régions les plus fantastiques du monde. Pendant que je dînais, le patron du restaurant m’apporta un numéro d’un grand hebdomadaire illustré de chez nous.

 

– Que monsieur ait la bonté de prendre ce journal, me dit-il cérémonieusement, il le lira ou ne le lira pas, selon son gré. Mais je tenais à lui prouver que, même dans une petite ville comme Pinsk, on sait honorer la noble culture française. »

Seuls quelques « agaçants jeunes gens » rencontrés à Varsovie, « infime et outrecuidante minorité », ne semble pas partager cette francophilie. Oudard conclut :

« Personnage n’envisage de renoncer à l’alliance française, mais beaucoup se demandent si nous serions toujours prêts a aller jusqu’au bout de ses conséquences [...]. Bien que la leur puisse paraître assez sinueuse, encore qu’ils prétendent le contraire, les Polonais nous reprochent de ne pas avoir une politique très droite. »

Le 2 août, L'Intransigeant publie l'épisode en Tchécoslovaquie. Oudard interroge alors des Praguois :

« – Vous avez encore du terrain à gagner et à nous faire gagner, me disait un Tchèque éminent. La culture française est la plus humaine qui soit parce qu’elle n’est dirigée contre personne [...].

 

Que pensent de la France les hommes éclairés de chez nous ? Qu’on n’en peut penser du mal que si on lui veut du mal. Nous sommes, soyez-en sûr, les amis les plus fermes, les moins capricieux que vous gardiez en Europe. »

Le 4 août, le journaliste est en Hongrie (ex-Autriche-Hongrie), un État qui a perdu une grande partie de son territoire lors du traité du Trianon de 1918. Négligeant temporairement la question qui donne titre à sa série de reportages, Georges Oudard donne sa propre opinion sur l'ancien ennemi de 14-18.

« Les Hongrois se sont mis en tête que Budapest est la dernière citadelle de la civilisation occidentale à l’Est. Venant d’une ancienne peuplade asiatique originaire du fond de l’Oural et dont la langue est inconnue de tout le monde, cette prétention apparaît à beaucoup extravagante. »

Puis le voici en Belgique, où, nous dit-il, « la France n'est pas aussi chérie qu'on se l'imagine ordinairement chez nous ».

« Ce courant de désaffection qui a des origines plus profondes que ces raisons économiques d’un caractère momentané, n’atteint pas tout le monde. Les Wallons peuvent être parfois en désaccord avec nous sur certains points, mais non véritablement sur le fond [...].

 

Les Flamands nous marquent donc une défiance chaque jour plus accentuée, tandis que les Flamingants nous détestent cordialement. Leur culture, leur mentalité, s’opposent aux nôtres qui leur déplaisent et les irritent. Bruxelles qui n’est ni wallone, ni flamande, tout en étant un peu les deux, aurait assez tendance, depuis quelques années, à résister moins à cette poussée d’hostilité. »

Le 24 août, ce sont les Pays-Bas, pays à la tradition de neutralité bien ancrée, comme l'explique le journaliste.

« Les Hollandais auraient facilement chez nous la réputation d'être germanophiles. Ils ont ravitaillé l’Allemagne pendant la guerre ; ils ont accordé une hospitalité surveillée au Kaiser et au Kronprinz après leur honteuse fuite du front […].

 

Or ils ne sont pas plus francophobes que d’ailleurs germanophobes, pas plus francophiles que germanophiles. Bien que, très normalement, ils pensent d’abord à eux-mêmes, la seule nation pour laquelle ils éprouvent une irrésistible sympathie est l’Angleterre, et en toute logique puisqu'ils ont quantité de points communs avec les Britanniques, sauf le vieux penchant de ceux-ci à la paresse [...].

 

Nous sommes peut-être, me disait un Hollandais de culture pourtant assez moyenne, le peuple du continent qui, en dépit de notre apparente rudesse, savoure le mieux l'esprit français. Rien ne nous paraît plus fin ni plus délicat.  »

Le 30 août, Georges Oudard termine sa tournée par l'Angleterre, fidèle alliée de la France, et qui compte néanmoins dans cette enquête parmi les juges les plus durs de la politique extérieure hexagonale.

« – Nous acceptons comme un axiome, vous dit-on, l’amitié franco-britannique. Nous sommes prêts à interdire formellement à l’Allemagne qu’elle touche aux frontières de la France, de la Belgique et des Pays-Bas, mais nous nous refusons, par contre, non moins nettement, à partager la responsabilité des engagements que vous avez souscrits depuis la guerre sous forme d'alliances avec les pays entourant l'Allemagne [...].

 

Nous ne pouvons pas nous engager aveuglément et à l’avance à combattre l’Allemagne pour une cause ou pour un pays quelconque dans l'Est de l'Europe. »

Lors du conflit mondial, le Royaume-Uni restera pourtant fidèle à son engagement aux côtés de la France. Oudard conclut :

« Ainsi, tout le long de ce voyage en Europe, ce fut à peu près partout le même son de cloche. Que la France dise plus nettement ce qu’elle veut, vous réclame-t-on, et qu’après l’avoir dit, elle donne à tous l’impression que rien ne la fera changer de position, quelles qu’en puissent être les conséquences.

 

Cette fermeté, ajoute-t-on encore partout, est le dernier espoir qui existe d’éviter les pires. »

 

 

Pour en savoir plus :

 

Serge Berstein, La France des années 30, Armand Colin, 1998

 

Serge Berstein et Pierre Milza, Histoire de l'Europe, du XIXe au début du XXe siècle, Hatier, 2014

Olivier Dard, La France des années 30, Le Livre de poche, 1999