Écho de presse

Le président américain Wilson, l'échec d'un champion de la paix

le 08/11/2020 par Pierre Ancery
le 21/01/2019 par Pierre Ancery - modifié le 08/11/2020
Woodrow Wilson, président des États-Unis de 1913 à 1921 - source : Gallica-BnF
Woodrow Wilson, président des États-Unis de 1913 à 1921 - source : Gallica-BnF

Ses fameux « Quatorze points » et sa volonté de créer une Société des Nations ont valu au président Wilson, entre 1918 et 1919, d'être fêté comme un « réalisateur d'idéal », promoteur inlassable de la paix. Mais cet idéal restera lettre morte dans l'entre-deux guerres.

Le 28e président américain Woodrow Wilson (1856-1924) a-t-il vraiment été le « créateur de la paix » et le « défenseur du droit » célébré unanimement par les Français à la fin de la Première Guerre mondiale ?

 

Le cas Wilson est complexe, tant la vie et les idées de ce membre du Parti démocrate, élu à la tête des États-Unis en 1912 puis réélu en 1916, semblent semées de contradictions.

 

Promoteur de la paix entre les puissances belligérantes, il participa au traité de Versailles qui signa l'écrasement des empires vaincus. Créateur de la Société des Nations, il échoua à faire participer les États-Unis à ce vaste projet. Défenseur de la liberté, de la démocratie et du droit des peuples à l'auto-détermination, il fut en son pays un farouche partisan de la ségrégation raciale.

RetroNews c’est plus de 2000 titres de presse française publiés de 1631 à 1952, des contenus éditoriaux mettant en lumière les archives de presse et des outils de recherche avancés.
Une offre unique pour découvrir l’histoire à travers les archives de presse !


Abonnez-vous à RetroNews et accédez à l’intégralité des contenus et fonctionnalités de recherche.

Newsletter

Sigmund Freud, fasciné par sa personnalité, écrira d'ailleurs un livre à charge sur Wilson, dans lequel il dénoncera son idéalisme empreint de religiosité, parlant d'un homme dont la « prétention de délivrer le monde du mal ne réussit qu'à donner une preuve supplémentaire du danger qu'un fanatique fait courir au bien public ».

 

Cependant pour la presse française de 1918 et 1919, il en est bien autrement. Wilson est alors celui qui, en faisant entrer les États-Unis dans la guerre en avril 1917, rompant ainsi avec la ligne isolationniste de son pays, a sauvé la France.

 

Il apparaît en outre comme l'homme de la paix. En janvier 1918, lors d'un discours devant le Congrès, Wilson énonce ainsi ses fameux « Quatorze points » destinés à préparer l'après-guerre :

« Ce que nous voulons, c'est que l'existence et la sécurité du monde soient assurées et particulièrement qu'il devienne possible, pour toute nation amie de la paix qui, comme la nôtre, désire vivre sa propre vie et établir elle-même ses propres institutions, de compter sur la justice et les procédés loyaux des autres peuples du monde et d'être protégés contre la force et les agressions égoïstes.

 

En effet, les peuples du monde sont associés à cet intérêt, et quant à nous, nous nous rendons compte avec évidence que, si la justice n'est pas rendue aux autres, elle ne nous sera pas rendue à nous-mêmes.

 

Le programme de la paix du monde est notre programme, il est le seul qui, comme nous le voyons, soit actuellement possible. »

Largement diffusés, les Quatorze points de Wilson sont marqués par un idéal de générosité qui suscitera d'immenses espoirs à travers le monde, en particulier dans les colonies d'Afrique et d'Asie.

 

Dans ce discours, le chef d’État américain promeut la démocratie, le désarmement, la fin de la diplomatie secrète, le libre-échange économique, la liberté des mers, le droit à l'auto-détermination des peuples. Il annonce aussi la création d'une ambitieuse Société des Nations (SDN), chargée de régler les litiges internationaux et génératrice de la « paix perpétuelle » qu'appelait de ses vœux le philosophe Emmanuel Kant.

 

En France, ce programme est reçu avec joie. L'Œuvre écrit ainsi le lendemain :

« Ce n'est pas encore la charte de la paix ; mais c'en est le premier brouillon.

 

Ce grand programme pacifiste vaut à la fois par la précision des détails et la netteté des idées générales qui l'inspirent. Le sort des nations, grandes ou petites, s'y trouve réglé suivant les principes du droit pur – ce droit qui cimente l'accord des Alliés et qui fondera demain la Société des Nations.

 

Car il est évident, quelque mauvaise humeur qu'en puissent ressentir nos réactionnaires, que, dans l'esprit du président Wilson, la Société des Nations demeure la formule définitive de la paix mondiale. »

Au lendemain de la guerre, en décembre, Wilson vient en Europe pour participer à la Conférence de paix de Paris. C'est un événement : pour la première fois, un président américain en exercice se rend dans un pays étranger. Il est accueilli en France comme un héros d'envergure quasi-christique.

 

Même le quotidien socialiste L'Humanité écrit ainsi : « Le président Wilson est le vrai créateur de la paix dans le monde ». Pour Le Journal, qui lui consacre sa Une du 15 décembre, il est « le défenseur du droit », le « Christophe Colomb d'un monde nouveau », « l'homme qui, sans qu'il soit besoin du recul de l'histoire, personnifie le droit ».

Tout aussi enthousiaste, le journal conservateur Le Gaulois raconte le 15 décembre l'accueil « délirant » fait par la foule parisienne au « réalisateur d'idéal », et ajoute :

« Idéaliste, M. Wilson a communiqué au monde une foi qui, pour les Anglais et pour les Italiens comme pour nous, a été, aux heures d'épreuve, la force par laquelle nous avons été soutenus et confirmés dans notre indéfectible espoir de la victoire finale [...].

 

Réalisateur, M. Wilson a été celui qui, à la stupeur de l'Allemagne, a fait passer les mers à d'innombrables légions, dans un élan qui supprimait les distances et renversait les barrières de l'impossible.

 

Pour définir la personnalité du président des États-Unis, M. Anatole France, dans cette langue qu'il manie en virtuose, déclare qu'il est un citoyen du monde. M. Viviani voit en lui un citoyen de l'humanité. »

Le 14 février 1919, Wilson présente la Charte de la SDN à la Conférence de paix. Son discours, vivement applaudi, est plein d'optimisme :

« Cette guerre, qui a eu des résultats si terribles, en a eu aussi de très grands et de très beaux. Le crime a été vaincu, les peuples ont été une fois de plus persuadés plus que jamais, de la majesté de la puissance du droit.

 

Les peuples, avant ce conflit, avaient entre eux certains motifs de querelle, lesquels se sont absolument évanouis depuis qu’ils ont vu qu'ils pouvaient vivre et travailler ensemble fraternellement. »

Mais l'idéalisme wilsonien va se heurter à la réalité des négociations. Et le même qui défendait les droits des peuples va céder aux exigences des Alliés – en premier chef Clemenceau et Lloyd George – qui, avec le Traité de Versailles, vont imposer leurs conditions drastiques aux pays défaits. Un résultat bien éloigné des promesses de paix « équitable » faites par Wilson, et qui nourrira longtemps le désir de revanche des vaincus.

 

Quant aux pays colonisés, leur « droit à l'auto-détermination » restera pour l'heure entièrement lettre morte.

 

Le 28 juin 1919, Wilson présente le Traité de Versailles au Congrès américain, mais celui-ci refuse de le ratifier. Le président va alors parcourir inlassablement les États-Unis pour le promouvoir, en même temps que son idée de Société des Nations.

 

Celle-ci sera finalement créée en janvier 1920 mais, ironie du sort, les États-Unis refuseront d'y adhérer. Atteint d'une crise d'apoplexie qui le laisse partiellement paralysé, Wilson, devenu chez lui très impopulaire – il a pourtant obtenu le prix Nobel de la Paix 1919 –, se cloître à la Maison Blanche jusqu'à la fin de son mandat, en 1921. Il meurt en 1924.

 

En France, son décès est noté par tous les journaux, qui rappellent son action internationale. Mais l'optimisme, cette fois, n'est plus de mise, comme en témoigne cette nécrologie en demi-teinte du Figaro :

« Il a apporté dans le règlement de la paix cette même bonne foi, et cette même conscience.

 

L'ouvrage qui a été publié par les délégués américains sur la conférence de la paix fait de lui un vivant tableau. On le montre assis à la droite de M. Clemenceau dont l'humeur aride et le sarcasme mordant font un contraste avec la patiente application du président Wilson assis à sa droite, et auquel tous les demandeurs avaient l'air de de s'adresser comme à l'homme de justice en qui reposaient toutes leurs espérances.

 

Au moment où il disparaît, ne retenons de lui que cette image de la bonne volonté. Si les résultats de cette bonne volonté ont déchaîné sur l'univers plus de maux que de biens, l'avenir le dira. »

La Société des Nations, principal héritage de Wilson sur le plan international, échouera à empêcher la Seconde Guerre mondiale. Elle servit néanmoins de base à la création de l'ONU en 1945.

 

Quant au principe d'auto-détermination des peuples défendu par le président démocrate, il sera réactivé lors des grandes vagues de décolonisation de la seconde moitié du XXe siècle.

 

 

Pour en savoir plus :

 

André Baeyens, La Damnation de Woodrow Wilson, Xenia Éditions, 2014

 

Yannick Mireur, De Wilson à Bush, l'Amérique à l'heure des choix, article paru dans « Politique américaine » en 2005 et consultable sur Cairn.info

 

Claire Christien-Prouët, Le président Wilson, l'homme qui « aimait les hommes en général », article paru dans « Champs lacaniens » en 2005 et consultable sur Cairn.info