Écho de presse

Contre leur placement en réserve, les Modocs déclaraient la guerre aux États-Unis

le 30/11/2021 par Michèle Pedinielli
le 20/04/2021 par Michèle Pedinielli - modifié le 30/11/2021

En 1873, une poignée d’Amérindiens refuse leur assignation dans une réserve et défie l’armée des États-Unis. La presse française relate la « guerre des Modocs », prenant parfois fait et cause pour les populations indiennes.

En 1873, les journaux français bruissent des échos d’une guerre lointaine et improbable : celle qui oppose, au fin fond de l’Oregon, une poignée d’Indiens à l’armée américaine.

Depuis 1864, les Modocs sont parqués loin de chez eux, sur une réserve aride et bien trop petite puisqu’ils sont obligés de cohabiter avec une autre tribu – hostile qui plus est – les Klamaths. En 1870, l’un des chefs Modocs, Kintpuash (surnommé « Captain Jack » par les colons) décide de retourner sur les rives du lac Tule, à la frontière de la Californie et de l’Oregon avec une partie de sa tribu.

Pendant deux ans, les Indiens vivent pacifiquement sur leurs terres, jusqu’à ce qu’en 1872, les colons en appellent à l’armée. L’épisode est raconté avec une ironie mordante par L’Univers du 29 mars 1873, qui prend clairement partie pour les Indiens dans un article intitulé « Captain Jack » :

« Ils habitaient un peu plus au sud-est, lorsqu'un vénérable Yankee, du nom de Ben Wright, trouvant leurs terres à sa convenance, choisit le petit moyen que voici pour s’en emparer. J'oubliais de dire, il faut être juste, qu’il les pria, d'abord, poliment de décamper, et que les Indiens refusèrent.

Voici donc ce que fit alors, le bon Yankee indigné :

Il invita un grand nombre de ses bons amis indiens à un grand festin et, lorsqu'il les eut ainsi groupés autour de sa table, une compagnie de chasseurs apostée dans un endroit convenable ouvrit un feu terrible de mousqueterie sur les convives, et en tua une cinquantaine.

Le reste de la tribu des Modocs consentit alors à s'éloigner ; mais vous comprenez que cet exploit créa une certaine dissatisfaction parmi les Indiens ; quelques-uns eurent même la noirceur de se venger ; pas mal de fermes ont été brûlées et pas mal de colons ont été tués depuis. »

Les actes de vengeance des Modocs mettent le feu aux poudres et déclenchent une guerre qui durera plusieurs mois entre l’armée des États-Unis et une poignée d’Indiens rebelles.

Le 16 février 1873, quelque 300 soldats se lancent sur les positions de Captain Jack et ses hommes, retranchés dans un champ de lave très accidenté. À leur grande surprise, ils rencontrent une résistance qui leur inflige de lourdes pertes.  La Presse du 18 février 1873 relate « la guerre indienne » :

« Les nouvelles reçues du théâtre du combat entre les troupes des États-Unis et les Modocs confirment pleinement l’avantage remporté par les sauvages. Le général Canby, dans une dépêche datée de Portland, Orégon, 30 janvier, rend compte de l'attaque du colonel Wheaton contre les positions occupées par le « capitaine Jack, » qui sont les plus fortes du pays. […] L'engagement a duré depuis huit heures du matin jusqu'à la nuit. Quatorze hommes blancs ont été tués et vingt-trois blessés. […]

Les Modocs ont combattu avec un courage désespéré ; on les voyait, entièrement nus, bondir de rocher en rocher, ajustant les soldats un à un et tirant avec une précision extraordinaire. […] Les troupes ont fait plusieurs charges le long des amoncellements de lave, mais elles ont été repoussées. Les obusiers n'ont pu être employés utilement, à cause du brouillard. »

La guérilla va se poursuivre plusieurs semaines jusqu’à ce que l’armée propose une négociation autour de l’attribution d'une nouvelle réserve. Le 11 avril, le général Edward Canby et quelques hommes engagent des pourparlers avec Kintpuash. La suite est racontée dans La Petite Gironde du 3 mai :

« Les Indiens n’avaient pas apporté leurs fusils, mais avaient, chacun d’eux, un pistolet à la ceinture, fait auquel on ne prêta pas attention. M. Meacham ouvrit la conférence, exposa ce que le gouvernement des États-Unis consentait à faire pour les Modocs, et le général Canby parla ensuite pour faire valoir les avantages de sa proposition. […]

En ce moment, Jack s’était levé, et, passant derrière les autres s'écria : « Êtes-vous prêts ? » Et il tira avec son pistolet sur le général Canby, qui tomba mort ; la balle lui avait traversé la tête au-dessus de l’œil.

Schonchin tirait au même instant sur M. Meacham, qui tombait grièvement blessé, et les autres Indiens tuaient le docteur Thomas, et tiraient sur l'interprète, qui fuyait à toutes jambes. »

L’assassinat de Canby et de la délégation déchaîne l’opinion publique aux États-Unis, où l’on réclame une plus grande répression de cette rébellion.

« Le gouverneur de l'Oregon, au nom du peuple de son État, vient de protester contre toute mesure de mansuétude, et demande que la tribu soit punie et contrainte de rentrer dans la réserve que le gouvernement lui avait assignée.

Les Modocs déclarent qu'ils ne céderont qu'à la force. Les journaux de Californie appuient tous la protestation du gouverneur de l'Oregon ; quelques-uns d'entre eux prétendent même que l'extermination des Peaux-Rouges est le seul moyen de mettre fin aux massacres continuels qui découragent les colons. »

Le 3 juin, les efforts de l’armée américaine portent leurs fruits et Captain Jack est arrêté avec un groupe d’hommes. Il est pendu le 3 octobre à Fort Klamath.

L’Univers du 2 novembre raconte l’exécution :

« Le vendredi 3 octobre, on exécutait au fort Klamath, dans la Californie du Nord, en présence des tribus indiennes accourues du voisinage et des débris de celles des Modocs, le capitaine Jack et trois de ses principaux guerriers.

Un seul échafaud avait été dressé, et lorsque, à un signal, donné, la planche se déroba sous les condamnés et qu'ils furent tous les quatre à la fois précipités dans l'espace, un cri d'horreur à moitié étouffé s'éleva du sein de la foule des Indiens assemblés, et les femmes et les enfants Modocs qui, du parapet du fort, assistaient à l'affreux spectacle, y répondirent par des lamentations perçantes et prolongées.

Le dernier acte de la tragédie était joué. Le dernier épisode de la guerre des Modocs était clos. L'armée des États-Unis pouvait enfin dormir tranquille ; elle n'avait plus à craindre que l'ombre du redoutable chef Modoc. »

On estime que seuls 13 guerriers modocs périrent lors des affrontements avec l’armée américaine, contre quelque 500 soldats yankees.

Aujourd’hui les populations modocs traditionnelles vivent en réserve ; elles sont réparties entre les états de l’Oregon, de l’Idaho et de l’Oklahoma.