1940 : « Le Dictateur » de Chaplin attaque le totalitarisme
En pleine Seconde Guerre mondiale, le film prophétique de Charlie Chaplin fait scandale en s'inspirant ouvertement du régime nazi.
S’il est aujourd’hui considéré comme le chef d’œuvre de Chaplin et l’un des plus grands films au monde, Le Dictateur, conçu avant le début de la guerre et réalisé en 1940, fut d’abord largement censuré, dans de nombreux pays d'Europe et d'Amérique.
Avec ce film en forme de cri d'alarme prophétique, Chaplin est l'un des premiers réalisateurs à s'engager contre Hitler, bien avant le gouvernement américain, à une époque où seule l’Angleterre résiste à l’Allemagne nazie.
En France, Le Dictateur ne paraît sur les écrans qu'en 1945, mais il fait couler beaucoup d’encre dès la fin des années 1930.
Ainsi, en 1938, le grand quotidien Paris-Soir annonce que « le nouveau film de Charlot se passera dans le camp de concentration d’un pays mythique » :
« De source proche de Chaplin et pleinement autorisée, on m'informe que le film Dictateur se situera dans un royaume mythique. Chaplin jouera deux rôles : celui du dictateur et celui de l'humble citoyen perdu dans un camp de concentration. La plupart des scènes auront lieu dans un camp de concentration. La victime étant mise plus en lumière que le dictateur. "Le film n'est nullement dirigé ouvertement contre Hitler, bien que sa ressemblance avec Chaplin-Hitler rende le rapprochement inévitable", me dit-on.
- Après tout, poursuit notre informateur, Charlot n'a pas besoin de se déguiser pour ressembler à Hitler. Sa personnalité existe depuis 1913. C'est Hitler qui ressemble à Charlot. [...]
Un ami intime de Chaplin dément par ailleurs que ce film ait plus de signification politique que les précédents. [...] Néanmoins toute l'action étant la description de la vie d'un camp de concentration, représentera "les efforts des opprimés pour s'exprimer bien qu'écrasés par le talon du dictateur". [...] Chaplin fait ce film comme tous ses précédents et sans écouter d'autre voix que celle du public qui, jusqu'à présent, lui donna toujours raison. Les protestations allemandes n'intéressent pas Chaplin, ses films étant déjà interdits en Allemagne et en Italie. La Tchécoslovaquie annonce déjà qu'elle interdira tous les films futurs de Chaplin. »
En 1939, Le Journal parle de « caricature vengeresse d’Adolf Hitler » et s'interroge sur l’impact du film :
« Cette histoire peut provoquer des complications diplomatiques, et non pas seulement entre l'Amérique et l'Allemagne, qui ne s'entendent déjà pas si bien puisqu'elles ont rappelé, l'une et l'autre, leurs ambassadeurs respectifs. Le film en question — qui sera interdit, cela va sans dire, outre-Rhin — deviendra, pour le Reich, une espèce de pierre de touche. Les pays qui accueilleront le dictateur Charlot déplairont au dictateur Adolf. Et supposez que, par ordre de celui-ci, l'ambassadeur du Reich à Paris demande au gouvernement de proscrire celui-là de nos écrans. Que se passerait-il ? »
En dépit des menaces et intimidations, Chaplin clame publiquement qu'il n'abandonnera pas et multiplie les provocations envers le régime nazi.
« Charlie Chaplin voudrait présenter "Le Dictateur" à Hitler », s’amuse Paris-Soir en avril 1940, rapportant cette anecdote :
« Quelqu'un lui ayant demandé l'autre jour où il aimerait donner la présentation de son film, il répondit :
— À Berchtesgaden [qui abrite le Nid d’aigle d'Hitler] devant une assistance d'une personne ».
En novembre 1945, la France tout juste libérée reçoit un message de Charlie Chaplin, véritable héraut de l'antifascisme dans l'Hexagone, publié « en exclusivité » et non sans fierté par le journal communiste Ce Soir :
« Le prix de la victoire a été très élevé et, comme dit Goethe "Il nous faut chaque jour reconquérir notre liberté". Cela sera fait par ceux d'entre nous qui sont conscients du malaise et de la corruption d'un passé moribond où la France s'était trouvée entraînée.
Nous sommes aujourd'hui au seuil d'un nouveau monde et les problèmes qui surgissent devant nous sont difficiles et souvent obscurs. Néanmoins, la France surmontera ces difficultés, simplement parce qu'elle est la France. Son amour de la culture et de la civilisation la conduira vers un avenir glorieux auquel sont liées la liberté, la justice et une vie plus pleine et plus riche pour tous les hommes. »