Guerre Froide : Truman « rassure les Français » en Une de France-Soir
A la veille de l'annonce du célèbre plan d'aide économique à l'Europe de l'Ouest « Marshall », le président américain Harry Truman dévoile ses intentions à la Une du quotidien gaulliste France-Soir. Ce qu'il faut y lire est clair : le monde occidental sera désormais influencé par le États-Unis.
Progressivement à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Guerre Froide s’installe. Le 5 mars 1946, l’ex-Premier ministre britannique Winston Churchill met en garde contre l’expansionnisme soviétique. Ce discours, révélateur des tensions qui parcourent le globe, est resté célèbre pour l’emploi de l’expression de « rideau de fer », symbole de la division entre les futurs deux « blocs ».
Un an plus tard, c’est au tour de Harry S. Truman, alors président des États-Unis, de donner un discours proclamant une des doctrines qui sera le terreau de la Guerre Froide. Prononcé le 12 mars 1947 au Congrès des États-Unis, il définit la « doctrine Truman », qui consiste à déterminer le nouveau rôle des États-Unis : soutenir les régimes démocratiques de l'Ouest face au « danger totalitaire » – comprendre : les régimes socialistes et autoritaires de l'Est.
Six mois plus tard, un nouveau discours de Truman fait date, et est retranscrit dans le quotidien France-soir. Une certaine psychose s’est déjà installée dans l’inconscient collectif, et, suivant une logique paternaliste, Truman promet de protéger, aider, et surtout « sauver » la France, l’Italie, mais plus généralement : l’Europe. Ce discours est une amorce à ce qui deviendra le plan Marshall.
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TRUMAN : « NOUS SAUVERONS LA FRANCE
ET L’ITALIE DE LA FAIM
DU FROID ET DU DANGER TOTALITAIRE »
« Nous ne cherchons pas à dominer le monde »
(de notre envoyé spécial perm. Georges-Henri MARTIN)
WASHINGTON, 25 octobre (Par câble)
« La France et l’Italie courent le plus de dangers, à déclaré cette nuit le président Truman ; si l’économie de ces pays s’effondrait, leurs peuples succomberaient à la pression totalitaire et ne pourraient, pas plus que les États-Unis, espérer en un relèvement alors que celui-ci est essentiel pour la paix mondiale »
Le président des États-Unis a fait cette déclaration dans un discours radiodiffusé dans lequel il explique au peuple américain la nécessité d’une procédure exceptionnelle d’urgence pour secourir l’Europe.
« Nous suivons une politique étrangère claire et précise, a dit encore le président, et la suivons afin d’assurer la paix et le bien-être dans le monde. Il est ridicule de soutenir que nous cherchons à dominer les autres nations. Nous avons simplement foi dans la liberté ; nous faisons tout ce que nous pouvons pour encourager les hommes et les gouvernements libres à travers le monde. »
L’Europe aura froid et faim
Le président Truman a expliqué que la France et l’Italie, manquant de produits alimentaires, de carburants et de moyens de transports et dont les réserves financières sont épuisées, ont besoin d’une importante aide économique américaine. Il a estimé que jusqu’au 31 mars, ces deux pays auraient besoin de 357 et de 285 millions de dollars.
« Même avec l’aide que nous avons l’intention de leur apporter, a souligné le président Truman, les peuples d’Europe auront cet hiver des rations minimes ; ils auront froid et manqueront de nombreuses choses indispensables. Mais notre aide primaire urgente leur apportera l’assurance du soutien continu de la nation américaine. »
Nous pouvons exporter sans inflation
Le président Truman entreprend alors de démontrer que son programme d’aide ne se heurte à aucune impossibilité technique et attaque ceux qui prétendent que sa politique d’exportations fait monter les prix aux U.S.A.
« La cause réelle de la hausse – déclare en substance le président – réside dans la demande considérablement accrue des consommateurs américains. L’expérience des années de guerre a prouvé que nous pouvions élever notre standing de vie dans une période où, cependant, moins de 60 % de la production nationale allaient aux consommateurs civils, le reste étant entièrement destiné à l’effort de guerre. Aujourd’hui, même en faisant le total de toutes nos exportations vers les pays du monde entier, on constate que le pourcentage de conduction laissé à la consommation nationale est beaucoup plus large que pendant la guerre. Ceci prouve d’une manière indubitable que si nous adoptons les mesures qui s’imposent, nous serons amenés à la fois à maintenir intact notre niveau de vie et à exécuter un programme substantiel d’aide. »
Le président Truman a précisé que depuis la deuxième semaine de 1946, la moyenne des prix pour 477 denrées de première nécessité avait augmenté de 23 % aux États-Unis et que le coût de la vie montait encore ; que notamment, au cours des trois derniers mois, cette hausse a été de plus de 16 % par rapport à l’année dernière.
Il souligne alors la nécessité, pour éviter un désastre analogue à celui de 1929, de stopper l’inflation par une « législation adéquate et compréhensive ».
La popularité de Truman est en hausse
M. Truman a prononcé son discours au moment où sa popularité suit une courbe ascendante. Le dernier Gallup [sondage, NDLR] indique que, depuis l’année dernière, le président Truman a regagné une grande partie de son influence perdue. L’automne dernier, à la veille des élections parlementaires au Congrès de 1946, 32 % seulement des personnes interrogées estimaient que Truman s’acquittait bien de sa tâche. Aujourd’hui, 55 % se félicitaient de la politique et de la gestion de Truman. Parallèlement, Gallup révèle que 56 % des électeurs interrogés voteraient démocrate si les élections avaient lieu maintenant. Gallup dément ainsi les pronostics de ceux qui croient le retour du Parti républicain conservateur, en 1948, inévitable.
Vers un revirement soviétique ?
Le point d’interrogation demeure l’attitude soviétique envers la fermeté soutenue de l’opinion publique américaine derrière Truman. La situation européenne est fluide et des changements peuvent encore affecter l’attitude des États-Unis. Survenant dans ce moment délicat, la nomination du nouvel ambassadeur soviétique à Washington suscite d’abondants commentaires. Le correspondant diplomatique du « New York Times » écrit : « Les observateurs de Washington ne seraient nullement surpris d’un changement tactique russe. L’ancien ambassadeur, Novikov, était un homme excessivement réservé, évitant autant que possible les contacts personnels. Au contraire, le nouvel ambassadeur, Alexandre Panyushkrin, arrivera ici précédé de la réputation d’être un homme extrêmement affable et amical. On pense qu’il se pourrait fort bien qu’il étende ses contacts à travers le pays et se fasse partout des amis personnels, reprenant la tradition de ses prédécesseurs, Maxime Litvinov et, antérieurement encore, Oumansky. On suivra les faits et gestes de Panyushkrin avec attention, y cherchant des indices politiques. »
Georges-Henri MARTIN