28 octobre 1922 : il y a cent ans, Mussolini et la Marche sur Rome
Quinze jours après la Marche sur Rome et son arrivée au pouvoir, Benito Mussolini fait l’objet d’un portrait pleine-page dans Le Carnet de la semaine. Revenant sur la biographie du nouveau maître de l’Italie, le rédacteur pressent, à raison, le pire.
Le 28 octobre 1922, les « Faisceaux » se sont emparés de Rome, signant la faillite définitive du gouvernement libéral de Luigi Facta. Le coup d’Etat, quoique mal organisé, est réussi et le « Duce » se retrouve à la tête du Royaume d’Italie.
Quelque deux semaines plus tard, le 12 novembre, tandis que la Chambre et le Sénat ont accordé à Mussolini les pleins pouvoirs pour un an, le journal satirique et culturel Le Carnet de la semaine revient sur la biographie de l’étrange nouveau maître transalpin. Sur une page, Jean Florence rend compte d’un personnage ambigu, irrationnel, que la France et le monde connaissent encore mal. Un « sentimental cruel », paraît-il. Un dictateur.
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Mussolini ? Un déséquilibré. Génial, disent ses fidèles. Fou, disent ses adversaires. C’est, en tout cas, la violence et l’extrémisme faits homme. On le hait ou on l’admire, souvent les deux à la fois.
C’est « un sentimental cruel », disent ses amis. « Sentimental » ? Il désire. « Violent et cruel » ? Il sait vouloir et obtenir par n’importe quel moyen. Sa passion, sans cesse extériorisée, attire les étourdis comme la flamme d’une lampe attire les papillons. Et son ardeur, qui lui fait oublier la fatigue, et qui lui fait mépriser le danger, exalte les dévouements de ceux que la froide raison et le respect d’autrui ne jettent pas dans les rangs de ses adversaires.
Mussolini ? Un front bombé, des yeux noirs étincelants, une mâchoire volontaire. Parfois, des sourcils froncés, et des muscles qui se contractent sous une peau cuite par le soleil.
Mussolini ? Un homme qui, à trente-neuf ans, a été tour à tour chef de l’extrémisme révolutionnaire et antimilitariste, le chef de l’extrémisme antiégalitaire et militariste ; mais qui toujours a employé comme moyen l’emportement sentimental et la violence physique. Un déréglé qui est aujourd’hui chargé de réorganiser et d’appliquer des lois qu’il n’a jamais cessé de violer.
Il est né à Forli, dans cette bouillante Romagne, éternelle pépinière des condottieres italiens. Son père, militant socialiste connu, le plaça dans une école et voulut en faire un instituteur. Benito faillit se faire expulser de son collège pour avoir réuni ses condisciples dans la cour et pour leur avoir tenu une incendiaire apologie du régicide.
Il fut cependant instituteur. Trop régulière et trop monotone pour lui, cette vie-là. Un beau jour il disparut, sans un sou dans sa poche. Plus tard, on apprit qu’il était en Suisse, où on l’avait arrêté pour vagabondage. Puis, enfin, on le sut à Trente, travaillant au Popolo avec Cesare Battisti, cette héroïque figure de martyre de la démocratie et du patriotisme. Mais le futur « animateur » cessa de s’entendre avec l’apôtre, rentra en Italie, et publia un livre sur le Trentin, où déjà son attention se figeait sur l’irrédentisme.
Alors commence la période de lutte. Révolutionnaire intransigeant, antimilitariste fougueux (on l’appelait le Gustave Hervé italien !) se refusant à admettre même le principe de la défense nationale, il dirige à Forli « la lotta di classe ». La guerre Tripolitaine éclate. Le parti socialiste et son leader Bissolati ne s’y opposent pas avec une énergie suffisante.
Au Congrès de Reggio Einilia, en 1912, Mussolini attaque, fait expulser Bissolati, et devient alors directeur de l’Avanti !, dont il accuse la tendance extrémiste, et dans lequel, en août 1914, il lance la célèbre formule « Neutralité absolue italienne ».
Pendant deux mois, c’est alors la propagande pacifiste acharnée. Chef de l’Italie rouge et neutralisée, Mussolini se prodigue, lorsque...
Lorsqu’en octobre, par un revirement soudain, inexplicable et inexpliqué, Mussolini quitte l’Avanti et le parti pour fonder ce Popolo d’Italia d’abord interventionniste et démocrate, puis violemment impérialiste et antisocialiste.
On sait la suite... Deux épisodes que ses amis racontent avec complaisance complètent l’esquisse.
1915, Milan. La rédaction du Popolo d’Italia. A une table, un jeune homme écrit. Mussolini entre, le voit, s’arrête.
— Que faites-vous de beau ? — J’écris. — Je vois. Et puis ? — Puis... je ne sais pas. Avez-vous quelque chose à me faire faire ? — Certainement. Mais... Avant tout, qui êtes-vous ?
Le malheureux le regarde, terrifié :
— Moi ? Mais un de vos rédacteurs ! Voilà deux mois que...
— Très bien. Si vous êtes un de mes rédacteurs, n’en parlons plus. Tout est possible, apures tout...
Et il s’en va. Deuxième épisode. Même décor. Mais cette fois, c’est Mussolini qui écrit. Entre un ami, qui veut lui proposer un « papier » :
— Écoute : l’article que je... Mussolini l’interrompt sèchement :
— Ton article ? Je l’ai lu. Il ne va pas.
— Mais si, je ne l’ai pas encore écrit ! — Alors, ça va bien, répond Mussolini avec douceur. Ceci est une autre affaire. Mais ton article ne me plaît pas non plus.
Et c’est peut-être ainsi que S. Ex. le Président du Conseil du Royaume d’Italie répondra à ses ambassadeurs.