Long Format

L'adoption des tarifs Méline en 1892

le par - modifié le 05/08/2020
le par - modifié le 05/08/2020

Les républicains, menés par Jules Méline, sensibles aux pressions électorales des industriels et de la paysannerie, décident de mettre fin aux traités de libre-échange, adoptés dans les années 1860 par Napoléon III, et de rétablir des tarifs douaniers élevés dits « tarifs Méline » en janvier 1892. Ce retour au protectionnisme est une des réponses à la Grande Dépression et à la concurrence étrangère. Le mélinisme est accusé d’avoir freiné la modernisation agricole et industrielle française.

Le retour en force du protectionnisme en France

Les différents gouvernements français du XIXe siècle, attachés à la tradition mercantiliste, ont privilégié une politique commerciale protectionniste. Le traité de commerce conclu entre la France et la Grande-Bretagne en 1860 constitue une parenthèse libre-échangiste, rapidement contestée. Dès 1872, Thiers tente d’abroger ce traité mais y renonce pour éviter l’isolement diplomatique de la France. Tout en maintenant les traités de commerce, les parlementaires votent la hausse de certains tarifs en mai 1881.

C’est Jules Méline, républicain conservateur, qui met fin à la politique commerciale libérale initiée par Napoléon III en faisant voter les « tarifs Méline » le 11 janvier 1892. La loi adopte un système tarifaire double : un tarif maximum, très élevé, applicable en l'absence de toute convention avec un pays étranger, et un tarif minimum, applicable aux nations qui feront bénéficier les productions françaises d'avantages particuliers ; ce tarif minimum marque la limite inférieure des concessions possibles. Ils sont renforcés par la loi dite « du cadenas » en 1897 qui permet au gouvernement de relever les tarifs douaniers sans attendre un vote du Parlement.

Ce rétablissement des tarifs douaniers s’inscrit dans une vague protectionniste qui submerge l’Europe et le monde depuis la fin des années 1870 (initiée par l’Allemagne en 1879). Les tarifs McKinley (1890) aux États-Unis sont parmi les plus élevés au monde. La libre-concurrence, qui constitue l’un des fondements du capitalisme libéral, est partout remise en cause, sauf en Grande-Bretagne, restée fidèle au libre-échange.

Jules Méline (1838-1925)

Jeune avocat et républicain, il devient député des Vosges en 1872. Nommé ministre de l’Agriculture en 1883, il est le grand spécialiste des problèmes agricoles : il fonde le mérite agricole en 1883, favorise le crédit agricole et réforme l’enseignement agricole (1894). Chantre du protectionnisme, il fait adopter les « tarifs Méline » en 1892 qui ont durablement marqué l'économie française. Président du Conseil d’avril 1896 à juin 1898, il met en œuvre une politique très conservatrice, qualifiée de mélinisme et antidreyfusarde.  Il  a écrit Le Retour à la terre (1905) et Le Salut par la terre (1919).

M. Méline, ministre de l'Agriculture, Agence Meurisse, Paris, 1915 - source : Gallica-BnF

Un protectionnisme avant tout agricole

Jules Méline ; Le salut par la terre et le programme économique de l'avenir ; 1919 - source : Gallica-BnF

Ce retour au protectionnisme, dans une France encore très rurale, cible avant tout l’agriculture. Il s’agit d’une réaction à un contexte de crise économique mondiale (1873-1896). Les exploitants et propriétaires fonciers sont victimes de la crise agricole provoquée par la baisse des prix due à la concurrence des pays neufs et à la baisse des coûts du transport maritime. Cette crise agricole a entraîné et amplifié la crise industrielle. Ce contexte de crise pousse l’opinion publique à réclamer des mesures protectionnistes sous la pression des lobbies industriels et agricoles, notamment la Société des agriculteurs français, premier syndicat agricole, très conservateur.

De fait, les tarifs Méline visent avant tout à protéger les agriculteurs français contre les importations à bas prix de produits agricoles étrangers, en maintenant leur pouvoir d’achat. Ainsi, le tarif moyen sur les importations agricoles passe de 3,3 % (1881-1884) à 21.3 % (1893-1895). Avec l’introduction du suffrage universel, la population agricole est devenue la première force politique et les républicains ont voulu faire de l’électorat rural le socle du régime. Jules Méline a cherché à consolider la République ébranlée par la récente crise boulangiste, en ralliant au régime le monde agricole et les industriels. Pourtant, La Lanterne, au contraire, déclare que le « protectionnisme à outrance […] prépare la ruine du pays dans l’espoir que la République […] sera entraînée dans le désastre » (21 mars 1891), dénonçant la politique très conservatrice de Jules Méline. 

Des résultats mitigés

La presse est partagée sur la question du protectionnisme : La Lanterne, Le Siècle, Le Rappel, Le Temps et Le Figaro se sont positionnés comme des adversaires résolus des tarifs Méline. Le premier voit dans le tarif Méline « une fumisterie, une immense mystification ». Pour le second« la politique protectionniste, c’est la politique de la déception pour les uns, de la duperie pour les autres, de la spoliation pour tous ». Au contraire, Le Petit Journal voit dans le protectionnisme « une pensée patriotique à laquelle il est impossible de ne pas s’associer ».

Les libéraux s’inquiètent des conséquences des « tarifs Méline » et y voient le symbole d’une politique économique nationaliste et conservatrice. Ils prévoient des répercussions sur les exportations et surtout dénoncent l’abandon des consommateurs qui subiront la hausse des prix. Certains journaux leur emboîtent le pas et s’alarment de la « guerre des tarifs » avec l’Italie, l’Espagne et la SuisseLa Lanterne conclut : les « désastreux tarifs Méline […] nous ont aliéné au profit de la Triple alliance les sympathies des nations » (2 janvier 1893). 

Les hommes du jour, 22 mai 1909 - source : Gallica-BnF

La protection des agriculteurs ne se fait-elle pas au détriment des ouvriers ? Jean Jaurès, hostile au libéralisme, s'interroge sur les méfaits du protectionnisme et veut aller plus loin (l'État doit selon lui intervenir dans l'économie et doit avoir le monopole de l'importation du blés), s'attirant les foudres respectives de Méline et des libéraux. Il pense également que le protectionnisme ne peut être efficace qu'à condition d'une réforme fiscale. 

On s’interroge sur les « effets du protectionnisme ». Certes, les tarifs Méline ont assuré une réelle protection du marché intérieur et un relèvement progressif des cours des produits agricoles mais ils ont provoqué un recul des exportations agricoles et industrielles françaises sans parvenir à entraver la hausse des importations. Yves Guyot fait le constat de l’échec de la politique douanière de Méline. Toutefois la fin de siècle est marquée par un retour à l'expansion commerciale.

Cent ans d'économie rurale (1880-1914)

À partir de documents d'archives, dessins..., une fresque historique retraçant l'évolution économique de l'agriculture française : à la fin du XIXe siècle, après des années euphoriques, une série de crises locales (phylloxéra dans le vignoble méditerranéen, sériciculture dans le Midi, oléagineux) en même temps que la mondialisation des échanges, avec le développement des transports, fragilise l'équilibre économique du secteur. Sous l'impulsion de Jules Méline, la France met en place une politique protectionniste. Les exploitations deviennent plus productives, l'agriculture est prospère mais fragile à la veille de 1914 et face à une concurrence désormais internationale.

Bibliographie

 

Pierre Barral, Les Agrariens français de Méline à Pisani, Armand Colin, Paris, 1968.


Paul Bairoch, Mythes et paradoxes de l’histoire économique, La Découverte, Paris, 1993.


Stéphane Becuwe, Bertrand Blancheton, « Le commerce international de la France dans la première mondialisation (1850-1913) », dans Histoire & Mesure, n°26, 2011.