Écho de presse

La douloureuse question des châtiments corporels

le 18/09/2021 par Pierre Ancery
le 14/09/2021 par Pierre Ancery - modifié le 18/09/2021

À la fin du XIXe siècle, alors que les lois Ferry ont rendu l'école gratuite et obligatoire pour tous, la question des punitions corporelles suscite de nombreux débats dans la presse.

La question des châtiments physiques à l'école est brûlante tout au long des années 1880, alors que les lois Ferry viennent de la rendre laïque, gratuite et obligatoire (lois de 1881 et 1882). Les coups et les punitions corporelles sont-ils un moyen éducatif viable ? La presse s'interroge et prend parti. Le 4 mars 1880, l'éditorialiste de La Petite Gironde déclare par exemple que « les punitions corporelles doivent être absolument bannies de nos écoles. Tout les condamne : aussi bien les prescriptions universitaires que nos mœurs, que la sagesse et que la raison ». Et de citer l'inspecteur d'Académie de la Charente, M. Aulard, farouche adversaire des punitions physiques :

« Les châtiments donnent à l’enfant une aversion incurable pour des choses qu’on doit tâcher de lui faire aimer. Ils ne changent point l’humeur et ne réforment point le naturel, mais le répriment seulement pour un temps et ne servent qu’à faire éclater les passions avec plus de violence quand elles sont en liberté. »

En 1885, Le Petit Parisien consacre sa une à la question, sous la plume très anticléricale de Jean Frollo. Les coups sont à proscrire, d'après lui :

« À la manière dont on traite les enfants, ne façonne-t-on pas la destinée des hommes ? Il faut en finir résolument avec toutes les vieilles coutumes surannées qui ont trop longtemps prévalu dans les écoles primaires ; il faut les laisser aux « hommes noirs » qui trouvent encore que les verges, pain sec, le bonnet d'âne — toutes ces cruautés ou toutes ces bêtises — sont les meilleurs moyens d'enseignement. »

Mais le châtiment non physique reste indispensable. Ses limites doivent être méditées et définies avec précision. «Il y a, pour un instituteur soucieux de ses devoirs, écrit Frollo, un "art de punir" ».

« Punir est plus difficile que récompenser [...]. Est bonne toute punition qui a pour effet d'améliorer l'enfant, est mauvaise toute punition qui produit un effet contraire ou qui ne produit pas d'effet. Il suit de là que l'éducateur ne doit pas se borner à infliger la punition, même choisie avec réflexion, mais en suivre attentivement les effets, en observer les conséquences. »

La question renvoie à une problématique plus large : qu'est-ce qu'une bonne éducation pour un jeune Français de la fin du XIXe siècle ? Si les journaux républicains s'opposent généralement avec fermeté aux punitions physiques, les publications conservatrices jugent que les nouvelles tendances en la matière font plus de mal que de bien. Ainsi de ce chroniqueur de La Croix qui se plaint en 1889 de ce que "l'impertinence soit à la mode" parmi la jeunesse. Si celle-ci ne respecte plus ses aînés, c'est la faute aux mœurs de l'époque, trop laxistes :

« Que voulez-vous : dans la jeunesse, jamais de correction, toujours des encouragements à jouir de la vie. « Profite, mon enfant, profite, disait une bonne femme à son enfant, tu auras le temps de souffrir plus tard. » Ce fils, à force de profiter, à fini par être condamné pour vol. Aimer de cette manière, c’est haïr. Aimer les défauts et les nourrir, c’est aimer la maladie du malade ; ce qui revient à haïr le malade, et cela s’appelle amour et tendresse ! »

Pour y remédier, le journaliste propose de revenir aux vieilles méthodes :

« Le fouet était cependant, pour des petits drôles incorrigibles, le moyen le plus sûr et le plus expéditif. Les parents, malgré le procureur de la république, en usent encore quand ils ont le sens commun […]. Pour ma part, je préfère la chiquenaude ou la férule. Tous les grands hommes d’autrefois avaient reçu le fouet, et c’est peut-être par ce motif qu’ils sont devenus grands hommes. Napoléon et son armée n’avaient pas été élevés autrement ; je ne sache pas que, depuis le réveil de la dignité humaine sur cet article, nos victoires soient plus éclatantes, nos hommes d’État plus intègres, et la société plus morale. »

En 1887, un décret de Jules Ferry interdira les châtiments corporels dans les écoles. Mais dans la pratique, il faudra attendre l'après-mai 68 pour que leur disparition devienne une réalité dans toutes les écoles françaises.