Écho de presse

Infatigable Albert Londres

le 04/05/2020 par Pierre Ancery
le 03/06/2016 par Pierre Ancery - modifié le 04/05/2020
Albert Londres - L'Intransigeant 1 novembre 1933 - Source RetroNews BnF

Son nom est synonyme de grands reportages et d'intégrité journalistique. Pendant plus de 25 ans, Albert Londres, selon son expression, a porté "la plume dans la plaie".

Europe de l'Est, Chine, Proche-Orient, Afrique, Océan Indien... Il est presque impossible de suivre sa trace, tant il bouge vite : entre les années 10 et 30, Albert Londres semble s'être rendu partout sur le globe, écrivant à toute allure des reportages tour à tour drôles et tragiques, mais toujours foisonnants de détails sur ces contrées lointaines.

 

Né à Vichy en 1884, ce fils de chaudronnier fait ses débuts dans le journalisme en 1906 au Matin. Pendant la guerre, il est envoyé à Reims alors que la ville est bombardée, puis se rend à Furnes, en Belgique, d'où il rend compte de la violence des combats, comme dans ce numéro du 24 décembre :

 

"Ça tombait avec une régularité d'horloge. L'ennemi qui voulait mourir n'avait qu'à choisir sa minute. Il y en avait pour tout le monde. Qui veut de la mort? Qui veut de la mort ?"

 

En 1915, on le retrouve, pour Le Petit Journal, en Italie, en Serbie, en Turquie ou en Grèce pour couvrir les combats qui y font rage. À chaque fois, il erre sur les fronts de guerre, prend des notes et transmet fidèlement ce qu'il a vu. En 1919, il est licencié du Petit Journal sur ordre direct de Clemenceau (qui, tenant des traités de paix, voyait d'un mauvais œil la sympathie du journaliste pour le coup de force de Gabriele d'Annunzio sur Fiume, en Italie).

 

Qu'à cela ne tienne, il travaillera désormais pour L'Excelsior. En Russie, il fait le portrait de Lénine et de Trotsky et décrit le bourrage de crâne des bolcheviks. En 1922, il part en Asie : Japon, Chine, Inde... Sa notoriété ne cesse de croître. En 1923, ses reportages sur les bagnes de Guyane, une formidable galerie de portraits saisissants de réalisme, font sensation. Ainsi celui de ces onze forçats français, paru dans Le Petit Parisien du 8 août :

 

"En bas, sur la mer, onze hommes blancs et deux policiers noirs attendaient dans une barque. C'était onze Français, onze forçats évadés, repris et qu'on voulait rembarquer pour la Guyane. Le soleil et la fatalité pesaient sur leurs épaules. Ils regardaient le Biskra avec deux yeux emplis de tragique impuissance. Puis, se désintéressant de leur sort, de la discussion et du monde entier, ils courbèrent la tète sur leurs genoux, se laissant ballotter par le flot."

 

C'est une constante de son travail : Albert Londres s'intéresse d'abord aux exclus, aux marginaux, aux opprimés. En 1925, il se rend « chez les fous », dans un asile psychiatrique, où il témoigne des mauvais traitements infligés aux patients. Puis c'est la Syrie et à nouveau la Chine. En 1927, il signe des articles moins exotiques (quoique), mais toujours aussi brillants, sur les ministres français. Dans Le Rappel du 18 août, il se moque ainsi du ministre de la Guerre Paul Painlevé :

 

"Le nez plutôt dans ses journaux que dans son assiette, il mangeait et lisait en même temps ; mais le curieux de l'affaire, c'était que s'il dévorait la politique, il semblait seulement lire la nourriture."

 

Puis, à Marseille (1927), Dakar (1928), Djeddah (1930), aux îles Farsans (1930) ou à Shanghaï (1932), celui que Paul Morand, en 1928, dans Le Figaro, décrit comme « ce grand coureur de globe qui ressemble si étonnamment à Shakespeare » endosse à nouveau l'habit de l'inlassable reporter international.

 

En 1932, il meurt dans l'incendie du Georges Philippar, le bateau qui le ramenait de Chine en France, alors qu'il travaillait sur un mystérieux scandale russo-chinois. Depuis, chaque année, le prix Albert-Londres couronne le meilleur grand reporter de l'année.