Chronique

Beauté et sarcasme : les Unes de Messidor, organe de la CGT

le 05/09/2023 par Anne Mathieu
le 24/08/2023 par Anne Mathieu - modifié le 05/09/2023

Contrairement à un grand nombre de périodiques militants, l’« hebdomadaire de la démocratie syndicale » Messidor pouvait se gargariser d’une magnifique mise en page et de contributions de premier plan. Ses premières pages témoignent de cette grande recherche esthétique et humoristique.

Le 18 mars 1938, un hebdomadaire à la facture particulière s’invite dans le paysage des périodiques français. Organe de la Confédération Générale du Travail (CGT), cet « Hebdomadaire de la démocratie syndicale » tranche, par rapport à ses homologues périodiques, par sa mise en page recherchée, par l’utilisation de la couleur, par ses Unes. Et pour cause : si Messidor est dirigé par le secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaux, le directeur technique en est Lucien Vogel, qui en deviendra ensuite le directeur adjoint.

Fondateur et ancien directeur du célèbre hebdomadaire illustré Vu, puis ayant officié par exemple quelque temps au Petit Journal, Lucien Vogel transfère son savoir-faire éprouvé sur cet organe syndical. La photographie occupe en quasi-pleine page la Une de l’hebdomadaire, la mise en page est soignée, inventive, les collaborateurs sont parmi les plumes importantes de l’époque.

Mais qui dit photographie, peut éventuellement dire photomontage. Comme nombre de périodiques des années 1930, l’organe de la CGT va employer le photomontage pour tourner en dérision la politique hexagonale ou internationale. Là comme ailleurs, celui-ci n’est pas signé, mais, particularité de Messidor, on donne aux lecteurs les outils de la compréhension en indiquant qui sont les personnages postés dans une situation décalée et ironique.

Et, il en faut, de l’ironie, pour pouvoir réussir à sourire des conséquences des Accords de Munich :

Concernant les photographies, celles de la Guerre d’Espagne vont y être abondantes : Vogel est un fidèle soutien de la cause de la République espagnole, soutien qui lui a coûté, rappelons-le, son poste de directeur de Vu en 1936 ; soutien qu’il n’a eu de cesse de réaffirmer par ses choix photographiques et éditoriaux dans les différents périodiques où il a officié depuis. Messidor ne va bien entendu pas faillir dans cet itinéraire, d’autant plus que la Guerre d’Espagne occupe nombre de pages de l’hebdomadaire, avec des reportages ou des articles de commentaire.

Souvent, les Une vont accompagner le début d’un reportage sur la Guerre d’Espagne, ou son annonce. C’est par exemple le cas lors du numéro du 1er avril 1938, où est annoncé un reportage de Simone Téry effectué à la morgue, « Devant les morts de Barcelone ». La photographie donne à voir deux enfants jouant dans un quartier détruit suite aux derniers bombardements meurtriers subis par la ville, une photographie non créditée au sujet de laquelle nous avons formulé l’hypothèse dans nos travaux qu’elle est de Simone Téry :

Même cas de figure pour le numéro suivant, où la photo annonce un reportage sur les réfugiés espagnols arrivant à Luchon ; à ceci près que, cette fois-ci, le reportage provient aussi bien de la plume – il est signé Roger Francq – que de l’appareil photo : celle-ci est en effet créditée de Kitrosser, prénom, Isaac, que Lucien Vogel avait fait travailler autrefois à Vu :

Lucien Vogel n’oublie pas, en effet, n’a jamais oublié, les photoreporters qu’il avait fait travailler à Vu. Parmi eux, Robert Capa, déjà célèbre, dont on retrouve des clichés en Une de Messidor – non crédités, comme c’est le souvent le cas.

Le 26 janvier 1939, Barcelone tombe aux mains des troupes franquistes. Le 27 janvier, c’est une petite fille sur le chemin de son exil dont Capa saisit la détresse et la misère universelles. On retrouvera cette photo, d’ailleurs, dans d’autres périodiques. Ici, le cliché est légendé « L’indésirable » et est « dédié à M. Georges Bonnet », le ministre des Affaires étrangères. Mais « L’indésirable », c’est aussi une mention accusatrice éloquente aux décrets-lois d’Édouard Daladier de 1938, identifiable pour les hommes et femmes de gauche de l’époque, qu’ils soient ou non militants.

Ajoutons enfin que Lucien Vogel sollicite également des dessinateurs pour orner les Une de Messidor, qu’il va aller chercher parmi les plus grands de l’époque.

On y relève par exemple le nom de Henri-Paul Gassier, cofondateur du Canard enchaîné dont il s’est séparé ensuite, et collaborateur à de nombreux périodiques :

Un illustrateur célèbre de l’époque va particulièrement être convié : Jean Effel. Collaborateur à de nombreux périodiques de la gauche de l’époque, il se repère par sa signature caractéristique et un humour dépassant temps et frontières :

Si l’humour, l’ironie, le sarcasme sont souvent présents en Une de Messidor grâce aux photomontages et aux illustrations, celles-ci sont souvent graves, par le biais des photographies choisies, ainsi que nous avons pu le constater.

Mais un dessin peut, aussi, transporter en lui toute l’adversité d’un peuple, toute l’injustice qu’il subit. C’est le cas de celui d’Angel Lopez Obrero, faisant partie de ces « œuvres de peintres et de sculpteurs espagnols, enfermés dans les camps de concentration français, […] actuellement exposées à la Maison de la Culture, rue d’Anjou, à Paris ».

Un dessin dont la présence en Une de Messidor témoigne, aussi, de la solidarité envers les antifascistes espagnols dont Lucien Vogel jamais ne se départit.