Une histoire accélérée du Figaro, grand journal « conservateur » français
Titre majeur de la presse française, plus ancien journal encore en activité dans notre pays avec deux cents ans d'existence, le vénérable Figaro a su s'adapter à toutes les époques et à tous les régimes politiques. Comment expliquer une telle longévité ?
Historienne des medias, professeure en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Paris 13 Sorbonne Paris Cité et coordinatrice du Groupe de travail « Presse magazine » (LCP-IRISSO), Claire Blandin est spécialiste des représentations dans les discours médiatiques, et notamment dans la presse magazine. On lui doit notamment Histoire de la presse en France, XXe et XXIe siècles, co-écrit avec Christian Delporte et François Robinet (2016, Armand Colin), ou Le Figaro, Histoire d’un journal, publié par Nouveau Monde éditions en 2010.
Propos recueillis par Arnaud Pagès
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RetroNews : Avant de devenir le grand titre de presse généraliste que l’on sait, Le Figaro fut d’abord une « feuille » littéraire relativement truculente. Dans quelles circonstances et à quel moment Le Figaro voit-il le jour ?
Claire Blandin : Le titre est lancé le 15 janvier 1826 sous la Restauration, pendant le règne de Charles X, par Maurice Alhoy, journaliste et auteur dramatique, et Étienne Arago, homme politique et dramaturge. C'est une période de très forte censure de la presse. Le Figaro s'appelle ainsi en référence à la pièce de Beaumarchais Le Mariage de Figaro, ou, pendant l'acte deux, il y a un plaidoyer particulièrement marquant en faveur de la liberté de la presse.
Comme tous les titres sont surveillés, les fondateurs vont créer un journal littéraire avec l'idée de parler de politique de façon détournée. Ils vont se moquer du gouvernement et des dirigeants en place en prenant pour pseudonymes les noms des personnages de Beaumarchais. Ce « premier » Figaro se résume à quatre pages de petites saynètes amusantes et parodiques sur la vie politique française.
Qui sont les lecteurs de ce premier Figaro ?
Il s'agit d'un tout petit lectorat. En 1826, la fabrication de la presse est encore artisanale, et le public lettré peu nombreux. Le Figaro est lu par une petite frange de la très haute bourgeoisie, et par les membres d'une aristocratie éclairée qui conteste le régime mis en place sous la Restauration. Ce sont des gens nostalgiques de la Révolution et de ses libertés. En réalité, Le Figaro restera confidentiel jusqu'au XXe siècle et l'entre-deux-guerres. C'est un journal qui a longtemps été important en vertu de la qualité de son lectorat, mais pas par l'ampleur de ses ventes…
En 1832, le titre est racheté pour la première fois…
Avec la monarchie de Juillet, le contexte est un peu différent. A cause de la censure, les journaux disparaissent, puis réapparaissent ; c'est le cas d'un grand nombre de titres de presse. C'est ce qui va se passer pour Le Figaro qui va être racheté à plusieurs reprises, pour renaître à chaque fois de ses cendres. C'est Hippolyte de Villemessant qui sera le véritable fondateur du journal en 1854. Il en fera un quotidien dans un premier temps, puis un journal politique. Mais pendant la Monarchie de Juillet, Le Figaro va bénéficier de la nouvelle ère médiatique et se développer progressivement.
Est-ce que cela signifie qu'avec de Villemessant, le lectorat va augmenter ?
Cela va prendre un peu de temps. En 1854, ce sont à peine quelques milliers d'exemplaires qui sortent des presses, sachant que le journal reste un bien cher à l'époque, et qui n'est donc pas accessible à tout le monde. La lecture se fait essentiellement dans des cabinets de lecture qui sont abonnés aux principaux titres. Le Figaro demeure un journal confidentiel qui ne joue pas dans la cour des grands.
Pour autant, Hippolyte de Villemessant apporte avec lui beaucoup d'innovations : rubriques permanentes et rédacteurs célèbres, avec notamment Baudelaire, les frères Goncourt... A-t-il l'ambition de lancer un journal qui aura plus d'envergure ?
Tout à fait. Et le contexte de l'époque s'y prête. Le Second Empire, qui est une démocratie autoritaire, va évoluer vers un régime plus libéral, notamment en faveur de la presse. Les journaux vont avoir de plus en plus de liberté. La loi de 1868 relative à la liberté de la presse va parachever cette évolution.
Villemessant est avant tout un entrepreneur. C'est un homme qui aime les spectacles, le théâtre, l'opéra, et il va donc médiatiser la vie culturelle parisienne. Le Figaro devient un journal de critique de spectacles, un vrai journal mondain, et dans le même temps il va se politiser. Le Figaro a toujours été dans le sillage du pouvoir. C'est un journal qui n'a jamais été partisan, mais qui est d'abord et avant tout conservateur.
Une du premier numéro du Figaro quotidien, 16 novembre 1866 – source : RetroNews-BnF
En 1866, le titre devient quotidien. Est-ce que ce changement de périodicité va être constitutif de son succès ?
Assurément. A ce moment-là, c'est le début des grands quotidiens populaires, ceux qui marqueront bientôt la Belle Époque : Le Petit Journal, Le Matin, Le Petit Parisien... Le Figaro adopte une périodicité quotidienne pour coller au plus près à l'actualité parisienne, mais sans pour autant adopter les codes de ses concurrents, c'est-à-dire sans opter pour une formule intellectuellement « allégée », avec beaucoup de jeux, beaucoup de distractions...
C'est un journal qui reste sérieux et qui est considéré comme étant de qualité. En publiant les nouvelles de la vie mondaine, il se fait une place à part dans le paysage médiatique. Il est réputé pour sa respectabilité et son conservatisme de bon aloi. Et puis, il émane du titre une forme d’inventivité commerciale, notamment grâce à de nouveaux formats éditoriaux.
Avec la loi de 1881 qui définit les libertés de la presse française, Le Figaro va passer un cap. Mais à la fin du XIXe siècle, l'affaire Dreyfus va mettre le journal dans la tourmente avec un positionnement antidreyfusard qui lui sera reproché par ses lecteurs. C'est pour cette raison que Zola va publier « J'accuse... ! » dans L’Aurore, alors qu'il pensait initialement au Figaro.
En 1945, Le Figaro est dans une situation très particulière. C'est le seul journal de droite qui subsiste dans le paysage de la presse française, car tous les autres ont collaboré et ont été interdits par les ordonnances de la Libération.
Comment Le Figaro évolue-t-il au tournant du XXᵉ siècle ?
Lors de la Belle Époque, les grands quotidiens populaires sont tous largement diffusés en province. Mais Le Figaro conserve un ancrage et une audience essentiellement parisienne. Au début du XXᵉ siècle, c'est un titre connu et reconnu. C'est un journal qui va sortir renforcé de la Première Guerre mondiale au moment où les quatre grands quotidiens nationaux sont tous accusés d'avoir participé au bourrage de crâne et d’avoir trahi la confiance de leurs lecteurs.
Au début des années 1920, François Coty, un industriel nationaliste et admirateur de Mussolini, un des seuls « fascistes français », devient actionnaire majoritaire du titre. Et il met la main sur Le Figaro pour diffuser ses idées politiques dans l'espace public.
On peut imaginer à quel point cela a dû être préjudiciable au titre…
C'est une catastrophe. Les ventes chutent brutalement, car les lecteurs n'adhèrent pas du tout à ce positionnement politique. Cependant, Coty va faire faillite. Dans la foulée, il divorce et c'est son ex-femme qui récupère le journal. Il mourra peu de temps après. Et la renaissance du titre viendra avec l'arrivée de Pierre Brisson, d'abord nommé directeur littéraire en 1934, puis directeur du journal en 1936.
Brisson souhaite redonner sa plume au Figaro, c'est-à-dire de redonner une place à la littérature et aux écrivains. Il va donc convoquer tous les grands romanciers français de l'entre-deux guerres : Mauriac, Paul Morand, Paul Claudel, Georges Duhamel... Ils vont forger un nouveau Figaro tourné vers la littérature et les auteurs.
Mauriac écrira des éditoriaux jusqu'en 1953, puis il rejoindra l'aventure de L'Express aux côtés de Françoise Giroud et de Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Que se passe-t-il après la Seconde Guerre mondiale ?
En 1945, Le Figaro est dans une situation très particulière. C'est le seul journal de droite qui subsiste dans le paysage de la presse française, car tous les autres ont collaboré et ont été interdits par les ordonnances de la Libération. Le Figaro a été épargné par la purge parce que Pierre Brisson avait sabordé le journal en novembre 1942 à Lyon, pour s'engager ensuite, avec ses équipes, dans la Résistance. C'est pour cette raison que Le Figaro obtient l'autorisation de reparaître en 1945, et se trouve pratiquement en situation de monopole – aux côtés néanmoins de La Croix. Brisson va capitaliser sur cette situation particulièrement favorable. Il a de grands journalistes avec lui et il sait faire fonctionner le journal. Il meurt en 1964.
En 1975, le titre est racheté par Robert Hersant, et intègre pour la première fois un groupe de presse. A la fin des années 70, Hersant crée Le Figaro Magazine pour porter ses idées politiques, notamment celles de la Nouvelle droite et de formations comme Occident, ce que les anciens journalistes du Figaro refusaient dans les pages du quotidien.
Qu’est-ce ce qui a pu expliquer une telle longévité au titre, selon vous ?
C'est non seulement le plus ancien quotidien de France, mais également l’un des plus vieux en Europe – et dans le monde ! Le fil rouge, c'est que Le Figaro a toujours su capitaliser sur la culture et convoquer dans ses pages, lorsque cela s'avérait nécessaire, de grandes plumes, des auteurs, des écrivains, des penseurs. C'est certainement la raison principale de son succès.
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Le Figaro, Histoire d’un journal, de l’historienne des médias Claire Blandin, fut publié en 2010 par Nouveau Monde éditions.