En 1887, la loi, les mœurs et le Code civil penchent toujours en faveur de l’élément masculin – le droit au divorce lui-même demeure asymétrique. Mais à condition que le sexe « fort » tienne dignement son rôle. En l’espèce, les travers de M. de Molen étaient manifestement trop nombreux et trop bien avérés pour que la thèse du crime passionnel à l’encontre de l’épouse « dévoyée » puisse convaincre les jurés.
Sans doute s’y ajoutait-il aussi un subtil règlement de compte social, en cette première phase encore instable du régime républicain, alors que s’affirmait la crise boulangiste : le comte de Molen avait choqué l’audience lorsqu’il fut établi qu’il avait traité sa belle-mère de parvenue et même de « poissarde », uniquement préoccupée d’acheter un titre à sa fille. La morgue aristocratique n’était plus de mise, et Molen fut reconnu coupable de tentative d’homicide sur sa femme avec préméditation, ainsi que d’une entière responsabilité pour les tirs de revolver sur le grand-père, le deuxième coup ne pouvant, de l’avis des experts, être fortuit.
Il fut condamné à 10 ans de travaux forcés, avec tout de même des circonstances atténuantes, sans doute parce qu’il avait fait preuve de contrition pendant le procès, n’hésitant pas à interrompre son propre avocat pour lui demander de « ne plus parler de tout ça ».
Un mois plus tard, son pourvoi en cassation fut rejeté. Le 22 avril 1887, La Justice annonçait sèchement que le divorce avait enfin été prononcé en faveur de Mme de Molen car :
« 1° M. de Molen s’est livré à des violences sur la personne de sa femme ;
2° M. de Molen a été condamné à une peine infâmante ;
3° M.de Molen a articulé à l’encontre de sa femme des griefs dont il n’a pas fourni la preuve. »
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Pour en savoir plus :
Francis Ronsin, Les Divorciaires. Affrontements politiques et conceptions du mariage dans la France du XIXe siècle, Paris, Aubier, 1992
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Emmanuelle Retaillaud est historienne, spécialiste de l'histoire de l'homosexualité et des « marges ». Elle enseigne à Sciences Po Lyon.