1879, avec les détenus de la plus grande prison parisienne
Au XIXe siècle, la prison parisienne de Mazas a vu passer des milliers d'assassins, d'escrocs et des personnalités telles qu'Arthur Rimbaud ou Victor Hugo. En 1879, un journaliste du Figaro passe en revue ses détenus emblématiques.
Si son nom ne dit aujourd'hui plus grand-chose, Mazas fut l'une des prisons les plus célèbres du XIXe siècle. Construite en 1850 sur le boulevard Mazas (rebaptisé boulevard Diderot en 1879), face à la gare de Lyon, elle est conçue pour contenir pas moins de 1 200 cellules individuelles (on la surnommera d'ailleurs « l'Hôtel des 1 200 couverts »).
Cette prison est fondée sur un principe nouveau : celui de l'isolement des détenus, qui doit alors permettre d'éviter que les délinquants les moins expérimentés soient au contact de détenus chevronnés et violents.
De nombreuses personnalités célèbres y furent incarcérées après le coup d'État de 1851 de Louis-Napoléon Bonaparte : Victor Hugo, Henri Rochefort, Jules Vallès ou encore Georges Clemenceau.
En 1879, l'écrivain et journaliste du Figaro Georges Bison entreprend de passer en revue quelques figures du crime incarcérées à Mazas. Il y a là des voleurs à la petite semaine, des escrocs d'envergure, des amants jaloux ou des assassins sanguinaires. Ce faisant, Bison dresse un panorama éloquent du paysage criminel français de cette seconde moitié du XIXe siècle.
L'article s'ouvre sur une rocambolesque affaire qui vient de défrayer la chronique :
« Voilà, d'abord Houillon, le Roi des voleurs. [...] C'est lui qui dirigeait la bande du bois de Boulogne, bande composée d'un grand nombre de rôdeurs de nuit [...]. Ces gens-là, qui pour la plupart n'avaient pas de domicile, rôdaient toute la nuit dans le Bois, guettant les promeneurs attardés et surtout les amoureux, vis-à-vis desquels ils exerçaient un chantage, en se donnant comme agents des mœurs.
Au besoin la fille Monceau, la maîtresse du chef, les aidait dans leur trafic, en arrêtant les passants isolés et en les accablant de séductions où la pudeur était tout à fait oubliée ; et quand on se trouvait avec cette mégère, dans la situation difficile de Joseph vis-à-vis de Mme Putiphar, les prétendus agents des mœurs apparaissaient. »
Vient ensuite le tour d'un assassin plus tristement banal : l'amant jaloux, figure criminelle parmi les plus courantes à l'époque.
« Voilà un assassin : Armand-Barbe Parbos. C'est un Bordelais. Le 3 septembre dernier, rentrant à minuit chez lui, 119, faubourg du Temple, il trouva sa maîtresse, Marie Viard, en train de causer avec un inconnu. Furieux, il sauta sur elle et la poignarda. Parbos a quarante-deux ans, c'est un Méridional aux passions vives, au sang chaud. À Mazas, il semble très tranquille.
Pour lui, son action n'a rien que de naturel, si c'était à recommencer, il le ferait encore, quelles que soient les conséquences. À dieu vat ! comme on dit en patois. Quand on tue une femme, c'est qu'on l'aimait bien. »
Les escrocs financiers figurent en bonne place parmi les hôtes de Mazas :
« Le comte de Grammont est compromis dans diverses affaires financières, et inculpé de vols qui s'élèvent à environ 200 000 francs. Son nom se trouvait déjà mêlé à l'affaire du vol au comptoir des agents de change. Considéré comme très habile et tenu soigneusement à l'œil.
M. Radouant, chef de bureau du ministère de l'agriculture. Un homme de quarante et quelques années, grave, correct, soigné, type de haut fonctionnaire. On sait qu'il est inculpé de détournements et de faux. Chargé des concours agricoles, il forçait les chiffres des mandats et s'appropriait la différence. Particularité curieuse : son chiffre favori était 50 fr. Avait-il une pièce comptable de 1 200 fr., il la faisait monter à 1 250. N'était-elle que de 25, elle passait à 75. C'était un prix fait comme les petits pâtés. Dit pour sa défense que cela s'est toujours pratiqué depuis 1830.
Tout différent de M. Radouant est Delattre. Grand, fort, le nez bossu, la bouche lippue, le visage marqué de taches de rousseur et ponctué à gauche d'une cicatrice reçue dans quelque rixe de barrière [...] il a déjà été condamné je ne sais combien de fois pour vol, coups et blessures, usurpation de fonctions, etc. En ce moment il est accusé de vol, escroquerie, fabrication de fausse monnaie, et rébellion aux agents... »
Mais le détenu le plus célèbre en cette année 1879 est sans conteste Victor Prévost, le gardien de la paix devenu assassin en série. Son histoire a fait grand bruit et provoqué un vif émoi au sein de la police.
« C'est un colosse, ancien Cent-Garde, taille : 1 mètre 83. [...] C'est aujourd'hui un vieillard cassé et usé. Prévost ira-t-il jusqu'aux assises ? Si cela tarde trop, il est permis d'en douter. D'abord, il a formellement déclaré qu'il voulait se tuer. Ensuite, il dépérit à vue d'œil. [...] Il ne peut ni rester couché, ni demeurer assis cinq minutes. En proie à une agitation perpétuelle, il parcourt sans cesse sa cellule — 5e division, n° 12 — en se tenant le front avec les mains. Il pleure et demande pardon à sa vieille mère, si bonne, si honnête, et qu'il a, dit-il, déshonorée ! Sa seule crainte est de monter sur l'échafaud sans avoir obtenu le pardon de sa mère.
Étrange anomalie, ce criminel endurci, qui dépeçait, écorchait ses victimes et dormait du sommeil des justes à côté de leurs débris sanglants, a le sentiment indestructible du devoir et de la discipline.
Quand M. le juge d'instruction Bressellès a obtenu de lui l'aveu de sa culpabilité en ce qui concerne Marguerite Blondin, il a déclaré que cet aveu lui ôtait un grand poids de dessus la poitrine.
“— Pourquoi, lui a dit alors le magistrat, ne pas l'avoir fait plus tôt ?
— Il eût fallu avouer qu'un assassin, avait porté pendant deux ans l'uniforme de gardien de la paix... C'eût été trop dur pour les camarades... !”
Tous ceux qui ont porté l'uniforme comprendront ce sentiment. »
Devenue peu à peu insalubre, la prison de Mazas sera totalement détruite en 1899. Les détenus seront transférés à la prison de Fresnes.