Jacques Mairesse, l’arrière tombé au champ d’honneur
L’un des meilleurs joueurs bleus du Mondial 1934, fondateur du premier syndicat des joueurs professionnels, meurt au front le 15 juin 1940, une semaine à peine avant l’armistice.
« Il est parfois des défaites qui valent des victoires. Celle qui marqua le match France-Autriche, disputé dimanche dernier au Stadio Mussolini devant 15 000 spectateurs, est de celles-là », écrit l’hebdomadaire sportif Match le 29 mai 1934.
Deux jours plus tôt, la France a été éliminée d’extrême justesse par l’Autriche à Turin (2-3 après prolongation) en huitième de finale de la deuxième édition de la Coupe du monde. Ce jour-là, la presse est unanime à saluer la prestation du défenseur Jacques Mairesse, dont la photo orne la Une de l’hebdomadaire sportif.
Le match marque pourtant la dernière des six sélections sous le maillot tricolore du joueur, qui évolue alors en deuxième division au Red Star, le prestigieux club de la banlieue parisienne, et dont, au début de l’année, L’Écho de Paris livrait un portrait élogieux :
« Il a sa place dans l’équipe de France et lorsqu’il l’occupe, l’équipe concurrente s’en ressent.
Jacques Mairesse joue avec tout, avec la tête et les muscles, et surtout avec un indomptable courage. C’est un lion, dont il a d’ailleurs les allures brutales lorsqu’il frappe la balle au rebond. »
Mairesse a pas mal bourlingué, évoluant aussi durant sa carrière à Sète, à Lyon et à Strasbourg mais également en Angleterre et au Maroc, alors protectorat français, où il se produit en 1931 comme capitaine de la sélection locale face à l’équipe de France B.
Il se montre aussi très actif en dehors des terrains, d’abord en écrivant un livre en 1933, Football quand tu nous tiens, puis en collaborant à un film documentaire intitulé Football. Et n’hésite pas non plus à livrer ses opinions politiques quand on les lui demande.
En février 1935, lorsque Match s’étonne de l’absence d’un ministre des Sports (ce sera chose faite l’année suivante sous le Front populaire, avec la création d’un sous-secrétariat aux Sports confié à Léo Lagrange) et sonde des sportifs sous le titre « Si vous choisissiez un dictateur au Sport… », il se montre tranché :
« Quand le gouvernement marche bien, tout marche bien. Les sports, par conséquent, doivent bénéficier de la bonne organisation générale.
Voyez l’exemple de l’U.R.S.S., de l’Italie, de l’Allemagne. Notez bien que je ne suis ni fasciste, ni nazi, ni communiste. Je constate simplement que dans un gouvernement fort, sous un régime d’autorité, tout s’arrange pour le mieux, surtout dans le domaine des sports. »
Dans un football français qui s’est lancé quelques années plus tôt dans l’aventure du professionnalisme, il prend en octobre 1936 la tête du premier syndicat des joueurs professionnels, dont il publie en février de l’année suivante un véritable manifeste dans Le Petit Journal :
« Rappellerais-je que la recette du match France-Autriche ayant produit 570 000 francs, les joueurs français qui y contribuèrent reçurent à eux tous une somme qu’on peut évaluer à 5 000 francs ?
Ainsi donc, ce sont des abeilles que la nature cruelle ou les règlements élaborés par une minorité forcent à devenir cigales, alors qu’il suffirait d’un peu de bonne volonté pour que ces abeilles restent ce qu’elles ont mérité d’être par leur vie active et par leurs mérites. »
Cet activisme lui vaut des conflits réguliers avec sa fédération qui refuse un temps, fin 1936, de lui renouveler sa licence de joueur, ce qui pousse le quotidien socialiste Le Populaire à lui apporter son soutien face à l’institution :
« Que reproche-t-elle à Mairesse ? Est-ce parce qu’il ne se laisse pas mener comme certains ? [...]
Est-ce parce qu’il a signalé l’état de dépendance, d’esclavage serait plus exact, dans lequel se trouvent les joueurs ayant signé un contrat de pro ?
Est-ce parce qu’il a montré qu’avec les règlements actuels sur les transferts, les clubs peuvent agir comme les “négriers” de jadis, marchands de chair humaine ?
Est-ce parce qu’il a fondé le syndicat des joueurs pros, groupant maintenant 382 adhérents sur 500 soccers, et qu’il souhaite le faire adhérer à la CGT ? »
« Songez que le joueur se fait transférer comme un colis, sans avoir le droit d’élever la plus timide des protestations ! C’est un esclave acheté par un autre maître », s’insurge-t-il d’ailleurs en janvier 1938, alors que son syndicat menace de faire annuler un match amical entre la France et la Belgique, à quelques mois de la Coupe du monde en France.
Transféré à Strasbourg, il fait encore partie, en 1939, des joueurs en compétition pour porter le maillot de l’équipe de France.
Rappelé sous les drapeaux au début de la Seconde Guerre mondiale comme brigadier, Jacques Mairesse trouvera la mort le 15 juin 1940, alors que la défaite française est déjà consommée, lors d’une escarmouche entre troupes françaises et allemandes dans l’Yonne après avoir été fait prisonnier.
Sa disparition, en pleine débâcle, n’est annoncée que quelques semaines plus tard dans Paris-Soir :
« L’international de football Jacques Mairesse n’est plus. Il a été tué aux environs de Sens après une héroïque défense. Joueur correct et ardent, il avait représenté à plusieurs reprises le football français à l’étranger. »
En septembre 1940, quand une minute de silence en sa mémoire est observée lors d’un match tenu à Paris au profit des footballeurs prisonniers, le même quotidien lui rend un bel hommage :
« Bouillant Jacques Mairesse ! Toujours prêt, tel le héros de Rostand, “à mettre pour un rien son feutre de travers”, à se battre pour une idée, pour son cher football.
Avec le panache d’un Cyrano, estimant comme lui “que c’est encore plus beau, lorsque c’est inutile”, il s’est sacrifié généreusement, à Sens, à quelques heures de l’armistice.
Brave Jacques Mairesse, au milieu des mesquineries du matérialisme des lourdes heures présentes, combien envient votre glorieux destin ! »