Écho de presse

« Le Corbeau » de Clouzot : pro ou anti-collaboration ?

le 07/08/2019 par Pierre Ancery
le 15/11/2017 par Pierre Ancery - modifié le 07/08/2019

En 1943 sort « Le Corbeau », long-métrage de Clouzot qui a pour thème la délation. Honni à la Libération, réhabilité depuis, le film est admiré à sa sortie par la presse vichyste.

Le deuxième long-métrage d'Henri-Georges Clouzot est sans doute celui qui fit le plus scandale. Le Corbeau, sorti en 1943, raconte la façon dont une petite ville de province devient la proie d'un « corbeau » qui sème la panique en envoyant des lettres calomnieuses aux habitants. S'ensuit une vague de suspicion généralisée qui dégénère en hystérie collective.

 

Sorti en pleine Occupation, Le Corbeau fut interdit à la Libération. Après la guerre, le film était, pour ses détracteurs, censé donner une image si noire des Français qu'il équivalait à un acte de collaboration – le critique communiste et résistant Georges Sadoul allant même jusqu'à dire qu'on y voyait l'influence de Mein Kampf.

 

La violence de ces attaques peut sembler très exagérée au spectateur contemporain (qui verrait plutôt dans le film une critique de la dénonciation anonyme, courante pendant la guerre). Elles s'expliquent sans doute par le fait que le film fut produit par le studio Continental-Films, une compagnie de production allemande. Mais aussi peut-être par le succès que Le Corbeau obtint à sa sortie auprès de la critique collaborationniste.

 

Dans Paris-Soir, André Le Bret émet ainsi des réserves sur le thème du film mais salue la mise en scène de Clouzot.

 

« Ne cherchons pas à moraliser, mais constatons pourtant sans hésiter qu'à une époque aussi sombre, aussi cruelle que la nôtre, il n'est peut-être pas opportun de traiter à l'écran des sujets aussi pénibles que celui-ci [...].

 

Certaines outrances, un parti pris de violence font sourire, alors que l'on n'en a pas envie, mais les erreurs décelées çà et là ne sauraient nous empêcher d'admirer trois ou quatre scènes d'une âpre vérité, conduites avec une singulière maîtrise et où l'on retrouve soudain les qualités foncières d'un Chavance et d'un Clouzot. En outre, la mise en scène de celui-ci échappe souvent au commun : elle a un accent personnel, un style, et l'interprétation est de premier ordre avec Pierre Fresnay — jeune docteur que la campagne anonyme désigne à la vindicte publique —, Ginette Leclerc et Larquey dans les principaux rôles. »

 

 

Dans Je suis partout, François Vinneuil livre une longue critique globalement positive :

 

« Le rythme de son récit demeure un peu saccadé. Mais il ne s’alourdit jamais, il est constamment nourri d’inventions nouvelles. Clouzot, devant la caméra, sait perdre tout souvenir des planches pour lesquelles il a cependant déjà travaillé. Rien de théâtral dans son Corbeau. L’action est située de manière très plausible et vivante, sans descriptions superflues d’atmosphère. [...].

 

Mais nous devinons déjà que ce film ne laissera pas dans notre mémoire un souvenir bien durable, et nous le regrettons. Clouzot n’a pas esquivé son sujet, mais nous aurions voulu qu’il y pénétrât plus profondément. C’est sans doute le seul vrai reproche qu’on puisse lui adresser. Clouzot possède une grande facilité, qui deviendra rapidement de la virtuosité. Il se fie un peu trop à elle. »

 

Les autres journaux, quant à eux, sont unanimes dans l'admiration. Le Journal parle de film « très consciencieusement et très habilement fait, qui comporte des moments passionnants » et salue l'interprétation de Pierre Fresnay en médecin accusé de pratiques abortives. Le Matin évoque quant à lui un film « à la fois surprenant, courageux, passionnant », tandis que le fasciste Robert Brasillach, dans Le Petit Parisien, le qualifie d’œuvre « extraordinaire », « riche de sexualité démoniaque », qui « renouvelle le genre policier ».

 

À la Libération, l'acteur Pierre Fresnay passera six semaines au camp de Drancy pour avoir trop souvent travaillé pour la Continental. Clouzot sera lui frappé de suspension professionnelle à vie. Le soutien de Jacques Prévert, Marcel Carné, Claude Autant-Lara ou encore Jacques Becker permit toutefois de lever la sanction en 1947. 

Clouzot réalisa par la suite des films (Quai des Orfèvres, Le Salaire de la peur, Les Diaboliques...) aujourd'hui universellement acclamés.