Houdini, le maître de l'illusion, se jette enchaîné dans la Seine
En 1909, Harry Houdini, le célèbre illusionniste, est de passage à Paris. Il stupéfie la presse avec un numéro spectaculaire exécuté depuis l'île de la Cité.
En 1909, la réputation d'Harry Houdini est mondiale. De son vrai nom Ehrich Weisz, le prestidigitateur américain, célèbre pour ses numéros d'évasion, se produit à partir du mois d'avril à l'Alhambra, à Paris. Sans doute pour donner un peu de publicité supplémentaire à son spectacle, il invite une poignée de représentants de la presse française à assister à un mystérieux numéro qui doit avoir lieu en plein jour.
Le jour dit, Jack Iter, journaliste à La Presse, est au lieu de rendez-vous : devant la Morgue de Paris. Le bâtiment, que Haussmann a fait construire en 1868, se trouve sur l'île de la Cité, juste derrière Notre-Dame, et surplombe la Seine. Le journaliste raconte :
« Rapidement, de l'une des voitures, un homme aux cheveux crépus, de taille juste moyenne, les épaules larges accusant une large carrure, saute sur le trottoir. D'un rapide coup d’œil jeté à droite et à gauche, il s'est convaincu qu'aucun indiscret ne guette. Il fait un signe et ses compagnons – l'on dirait des complices – surgissent à leur tour [...]. À quelques pas de là, un opérateur a braqué son immense appareil et met en œuvre une manivelle qui, déroulant les pellicules, va fixer à jamais cette scène rapide. »
Se déshabillant, Houdini demande ensuite aux quelques témoins – dont le journaliste – de le ligoter.
« Houdini nous tend les chaînes et nous demande de le ligoter solidement et selon notre bon plaisir. Nous sommes trois qui nous y appliquons de notre mieux, serrant les cordes qui entrent profondément dans les chairs de l'avant-bras et font jaillir en bourrelets les muscles de l'Américain impassible. Les deux bracelets de fer qui enclavent les poignets sont fermés automatiquement. D'une brusque secousse, on s'assure que le ligotage est extrêmement sérieux. »
Le journaliste comprend alors l'audacieux projet du magicien : il va se jeter enchaîné dans la Seine depuis le toit de la Morgue et tenter de se libérer. Houdini escalade à toute allure une échelle qu'on a dressée contre le bâtiment et monte sur le toit. « C'est un fou ! », hurlent les badauds, tandis qu'un policier court chercher du renfort.
« Trop tard !... Balançant ses mains enchaînées et mesurant de l'œil la profondeur, l'audacieux Américain plonge les bras en avant et disparaît sous l'onde qu'un léger remous agite quelques instants. Les badauds ont poussé un cri. Les passants se précipitent sur la berge. En quelques minutes les parapets sont noirs de monde [...]. Anxieux, nous cherchons à notre tour à percer du regard le fond glauque de l'eau immuable. Une minute a dû se passer.... plus longue qu'une heure et toujours rien ! »
Quand soudain...
« Un cri de surprise ! et à quelques mètres au milieu de la Seine, une tête crépue émerge ! L'Américain a vaincu. Son bras libre de toutes entraves, qu'il agite au-dessus de l'eau pour mieux nous rassurer, bat méthodiquement le flot. La foule applaudit et sourit. Les agents, car ils sont une dizaine maintenant, contemplent à leur tour ce spectacle aussi inattendu qu'incompréhensible.
Mais l'une des barques s'est approchée. Houdini y grimpe et, secouant son corps ruisselant comme un coq bat nerveusement de l'aile, il accepte le peignoir que son second lui a apporté, et, tout tremblant, mais de froid, rejoint la berge. — Trois minutes, deux secondes, lui dit l'un des chronométreurs en lui serrant les mains. — Yes ! C'est ça, répond simplement Houdini, qui remonte tranquillement la place pour rejoindre son automobile. […]
Houdini referme la portière de sa voiture et repart à toute vitesse, sans que le brigadier de service, qui n'en est pas encore revenu, ait songé à lui demander ses papiers pour la contravention d'usage. »
La série de spectacles que donnera Houdini à Paris, au cours desquels on le verra s'échapper d'une camisole de force ou d'un immense bidon rempli d'eau, sera un triomphe (il semble que l'un de ses « trucs » consistait à s'insérer un passe-partout dans l’œsophage, technique apprise d'un avaleur de sabre rencontré sur les foires).
À sa mort en 1926, son ami Arthur Conan Doyle, qui croyait dur comme fer aux pouvoirs surnaturels d'Houdini, assista à son enterrement. Le créateur de Sherlock Holmes, avisant le cercueil, aurait eu ces mots : « Je vous parie qu'il n'y est déjà plus... ».