Cet article synthétise les principaux griefs misogynes exprimés alors contre Manon Roland. En premier lieu, elle est accusée d’avoir, dans l’ombre de son mari ministre, tiré les ficelles du pouvoir. Cette accusation, que son ennemi Danton participe à propager, se retrouve également dans les Révolutions de Paris, journal de Prudhomme célèbre pour ces prises de position contre les femmes engagées en politique. Dans le numéro daté du 17 novembre 1793, on peut y lire les propos de Chaumette, procureur de la Commune de Paris, dénonçant « cette femme hautaine d’un époux perfide, la Roland, qui se crut propre à gouverner la République, et qui concourut à sa perte ». Le salon de Madame Roland est comparé aux salons de l’Ancien Régime où les femmes aristocrates exerceraient une influence occulte sur la politique.
En second lieu, Madame Roland, femme cultivée qui manie avec talent la plume, est stigmatisée comme une « femme savante ». Pendant la Révolution, les femmes instruites qui rivalisent avec les hommes sur le plan intellectuel, sont jugées immodestes et impropres à bien mener leur rôle d’épouse et de mère.
C’est enfin l’attitude, particulièrement stoïque de Madame Roland pendant son procès et devant l’échafaud, qui est dénoncée. En cherchant à imiter les héros de Plutarque qu’elle admirait depuis son enfance, Manon Roland a fait preuve d’une vertu virile par excellence : le contrôle de soi et le courage face à la mort. Ce comportement devient, parce qu’elle est une femme, la preuve de son absence de sentiment maternel : elle n’aurait pas montré suffisamment sa tristesse d’abandonner sa fille, Eudora Roland, née en 1781.
Pour toutes ces raisons, Madame Roland est érigée en un contre-exemple pour les femmes républicaines, un symbole de ces femmes jugées « déviantes » qui ont osé transgresser les normes de la « bonne féminité » en prenant part aux débats publiques.
Écrits pendant son emprisonnement, les mémoires de Madame Roland, paraissent à l’automne 1795 sous le titre « Appel à l’impartiale postérité ». Elle cherche à y répondre aux attaques dont elle est l’objet. Minimisant son rôle politique, elle se décrit comme une simple épouse qui a toujours su se tenir à l’écart des décisions politiques, se contentant d’écouter et d’observer. Madame Roland est ainsi loin d’être une pionnière du féminisme comme l’était Olympe de Gouges. Elle estime que l’état des mœurs de la France révolutionnaire ne permet pas encore aux femmes d’influer ouvertement sur la vie politique, sans risquer de s’exposer au ridicule et à l’inefficacité. Pour autant, et c’est là que se situe toute l’ambiguïté de sa pensée, elle estime que les femmes pourront « agir ouvertement que lorsque les Français auront tous mérité le nom d’hommes libres » (lettre à Bancal des Issarts le 6 avril 1791).
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Caroline Fayolle est historienne, maîtresse de conférence à l'Université de Montpellier .