Non signé, l’article émanait de… Victor Hugo en personne, qui avait évidemment reconnu là un disciple majeur. Mais la forme plus que le fond intéressait le grand poète. Car l’intérêt de Mademoiselle de Maupin ne résidait pas seulement dans l’audace « féministe » de son personnage, mais aussi dans la très percutante préface que Gautier avait jugé bon de lui ajouter, en utilisant pour cela un texte rédigé l’année précédente, à la suite du mini scandale de La France littéraire.
Sans rapport direct avec la question de l’androgynie, qui, aujourd’hui, forme le principal point d’attraction du roman, Gautier s’en prenait avec mordant aux postures moralistes de son époque, revendiquant pour seule boussole éthique la défense du Beau sous toutes ses formes : premiers éléments d’une théorie de « l’art pour l’art », dont il allait se faire le principal héraut. Hugo avait discerné là un véritable manifeste, ce qui le poussait à affirmer un peu plus loin :
« La préface de Mademoiselle de Maupin contribuera beaucoup au succès du livre.
C’est une réclamation énergique, amusante et spirituelle, parfois joyeusement folle et exagérée dans la forme, toujours sensée au fond, où M. Gautier venge noblement la littérature contemporaine de ces niaises fureurs de feuilleton qui maintenant ne font plus de mal qu’aux journaux. »
Avec le temps, la notoriété de Gautier n’allait cesser de croître, faisant de lui un des écrivains les plus influents de son siècle. Mademoiselle de Maupin devait cependant conserver, au sein de son œuvre, un statut particulier, ne serait-ce que parce que sa préface irrévérencieuse et son fond « immoral » furent sans doute les causes principales de ses quatre échecs successifs à l’Académie Française (voir Le Siècle du 28 février 1869). À sa mort, le 23 octobre 1872, ce roman de jeunesse suscitait encore des commentaires pas moins clivés que trente-sept ans plus tôt. Le journal Le Français n’hésitait pas à remarquer ainsi, dans son édition du 12 novembre 1872 :
« S’il y a de mauvaises mœurs et de mauvais livres, celui-là en est un […].
Mademoiselle de Maupin est la fantaisie d’une imagination débauchée que le dédain du vulgaire a jeté dans l’innommable. »
Mais L’Ordre de Paris du 29 octobre 1872 préférait souligner :
« On a fait une réputation d’immoralité à Mlle de Maupin. L’âpre jeunesse du poète y jette sans doute sa gourme et son feu.
C’est comme une noble galerie de sculptures déparée par des groupes de Musée Secret. Mais l’idéal domine et triomphe, les nudités se transfigurent sous la lumière d’un style rayonnant. »
Et Le Bien Public du 15 décembre de renchérir :
« Mademoiselle de Maupin, dont la seule préface suffirait pour faire la réputation d’un homme, ce chef d’œuvre d’ironie, de bon sens, de style […] rendit d’un seul coup populaire le nom de Théophile Gautier, tout en le faisant cordialement mépriser […] par la foule inepte et spéciale qui a la manie de chercher dans les livres exactement le contraire de ce que les auteurs ont voulu y mettre. »