Un siècle après la Révolution, la Bastille est reconstruite
En 1888, dans le cadre d’une exposition rétrospective du centenaire de la Révolution, la citadelle et le quartier de la Bastille sont reconstruits un siècle après leur destruction.
L’Exposition universelle de 1889 à Paris est l’occasion d’un grand nombre de festivités et d’attractions grandioses dans la capitale. Afin de commémorer le centenaire de la Révolution française, on assigne la construction d’une Nouvelle Bastille, reconstitution monumentale de la célèbre prison d’État détruite le 14 juillet 1789. Cette attraction est alors destinée à disparaître à la fin de l’Exposition.
Dès 1887, on commence l’installation, sur la lisière du Champ-de-Mars non loin de la tour Eiffel en travaux, de cette imposante reconstitution de la Bastille et de quelques rues du quartier Saint-Antoine à la veille de la Révolution.
L’architecte à l’origine de ce projet audacieux est un élève de Viollet-le-Duc, Eugène Colibert. Après avoir accueilli un public nombreux et enthousiaste, l’attraction est fermée au cours de l’hiver 1888 afin d’être « restaurée » ; le but est d’accueillir une foule de visiteurs plus nombreuse encore lors de l’Exposition universelle, organisée pour le printemps suivant.
Lorsqu’en avril 1889 est annoncée la réouverture de l’attraction, les journalistes comme le public ne cachent pas leur impatience. Le Figaro consacre un article à la Nouvelle Bastille à quelques jours de sa réouverture :
« Dans quelques jours elle sera absolument parfaite, la nouvelle et d’autant plus vieille Bastille, dont les guichets ont enregistré, en 1888, quinze cent mille entrées. Aussi s’apprête-t-on à l’inaugurer une fois de plus.
C’est le 14 avril que nous reverrons fonctionner les métiers du temps. Dans les rues passeront le duc de Gassé, le comte de Pontécalec, la Souris, Thérèse Badin en chaises à porteurs, pendant que les bateleurs, les chanteurs ambulants, le raccommodeur de souliers, la musique des gardes françaises restitueront la physionomie de l’époque évoquée. »
En effet, pour cette inauguration de la Nouvelle Bastille, le programme est des plus festifs. Le Petit Journal, ouvertement enthousiaste, présente l’homme derrière ces étonnantes attractions évoquant, de manière plus ou moins caricaturale, les dernières heures de l’Ancien Régime.
« À trois heures, reproduction d’une noce bourgeoise sous Louis XVI sortant de l’église Sainte-Marie avec scènes populaires, colloque des invités, duel entre grands seigneurs du temps, ballets et musiques sur la place. […]
Il est incontestable que la nouvelle Bastille sera l’une des attractions invincibles du Champ-de-Mars. Ce succès considérable sera la juste récompense de M. Perrusson, le propriétaire, et de M. Colibert, l’architecte, un homme dont le nom devrait être aujourd’hui célèbre, car celui qui le porte a exécuté vingt travaux de premier ordre, créé de toutes pièces des cités entières et ressuscité dans maints pays d’Europe les traditions des siècles disparus, avec un souci constant de l’exactitude, avec une passion véritable pour l’art. »
Pour pénétrer dans l’enceinte de la forteresse de la Bastille, le public empruntait, un siècle plus tôt, la rue Saint-Antoine. Celle-ci est également reconstituée telle qu’elle était à la veille de la Révolution, avec une cinquantaine de maisonnettes en fac-similé de bois et de plâtre.
Tout y est restitué : la petite échoppe de l’écrivain public, le bureau de poste, le restaurant bourgeois et plusieurs petits commerces entourant le pont-levis et la grosse grille signalant l’entrée de la prison.
Les visiteurs de la Nouvelle Bastille sont alors invités à visiter l’édifice ainsi que les terribles cachots, dans lesquels on a pris soin de disposer quelques personnages historiques, en cire : Poujade ou le comte de Solages.
Trois mois après cette nouvelle inauguration, à l’occasion de la solennité nationale du 14 juillet 1889, une reproduction spectaculaire de la prise de la Bastille y est donnée tous les soirs, à partir de six heures. Les billets d’entrée sont vendus au prix de deux francs pièce.
Le journal Gil Blas relate, le 16 juillet 1889, l’engouement des Parisiens pour ce spectacle grandiose :
« L’un des côtés les plus pittoresques et les plus intéressants de la fête du 14 juillet a été la Nouvelle Bastille, la prise de la célèbre prison d’État […].
Tout le monde, sans distinction de parti, s’est rendu avenue de Suffren, acclamant une merveille de mise en scène où ne figuraient pas moins de trois cents personnages…
Surprise de la garde du château, attaque à main armée, combats à coups de canon et à coups de fusil, embrasement par Delaperrière et Diva ; enfin défilé, chœurs et bal, sur la place de la Bastille, où l’on a planté le fameux écriteau :
“Ici l’on danse.” »
C’est donc dans la joie et la bonne humeur, sans heurts ni la moindre manifestation de violence révolutionnaire, que la commémoration du centenaire de la Révolution se déroula autour de la Nouvelle Bastille.
La mise en place et la production du projet auront coûté quelque 12 millions de francs à la ville de Paris et à l’État français.