L’image d’un adversaire médiévalisé monstrueux est elle aussi très ancienne. On la retrouve par exemple chez Victor Hugo mais aussi dans la manière de représenter les Allemands durant la Grande Guerre, qualifiés à la fois de « Huns » et d’« Ogres », que ce soit en France et en Grande-Bretagne. Ce n’est donc pas un hasard si Lucifer opère depuis un château située outre-Rhin ou qu’il s’appelle en réalité « le seigneur baron Glo von Warteck ».
Mais cette image doit aussi sans doute beaucoup au roman Dracula du Britannique Bram Stoker sorti en 1897 en anglais mais traduit seulement en 1920 dans la langue de Molière. En effet, on y trouve déjà la place centrale du château médiéval associé, cette fois, à un Orient féodal (le vampire se terre dans un donjon dans les Carpates) menaçant l’Occident moderne, comme on peut le constater par exemple sur cette couverture en langue originale datée de 1901. On y voit aussi l’opposition entre le jour et les ténèbres, les Lumières de la science face à l’obscurantisme de la créature médiévale du vampire – celui-ci craint d’ailleurs l’éclat du soleil –, un point sur lequel l’édition française, titrée Dracula, L’homme de la nuit, insiste.
Il semble donc naturel que de la Hire se soit inspiré de l’opus de Stoker. À ce titre, il est frappant de constater qu’un passage montre Lucifer usant de son emprise psychique pour forcer une jeune femme appelée Minna à venir le servir, prénom qui n’est pas sans évoquer celui de Mina Harker, personnage central du roman Dracula qui manque de succomber aux pouvoirs du vampire.
Après Lucifer, Jean de la Hire consacre de nombreux récits mettant en scène le Nyctalope. Après avoir, dans Les Amazones de l’Everest (1925), réutilisé les poncifs au sujet des civilisations perdues gouvernées par des femmes depuis le roman She (1886) de l’Anglais Henry Rider Haggard, il reprend la trame générale de Lucifer dans La Captive du démon, publié en feuilleton en 1927 dans les pages du Matin.
Là encore, l’Occident (et la France en particulier) est menacé par un complot mondial ourdi par un maître du mal agissant dans l’ombre, qui n’est plus Allemand, mais Russe. S’il opère toujours dans une forteresse féodale, celle-ci ne se trouve plus outre-Rhin, mais en Asie centrale.
« Dans les montagnes de Thian-Chan, au milieu des contrées acerbes qu’enclosent la Mongolie, le Turkestan, l’Afghanistan et le Pamir, s’étend le lac d Issyk Koul, aux côtes escarpées, sauvages, profondément découpées.
Et sur l’un des promontoires rocheux qui s’avancent dans les eaux profondes du lac, se dressent les quatre tours carrées et le donjon du château d’Issyk. »