Le mouvement se trouve alors déjà en plein reflux : à Marseille, son épicentre, les dockers reprennent le travail le 19 avril, sans avoir vraiment pu peser sur l’engagement dans un conflit qui, au contraire de la guerre d’Algérie, ne mobilise qu’en sourdine l’opinion. Selon l’historien Jean-Claude Lahaxe, « les mouvements dits “de masse” qui ont affecté le port depuis le 2 novembre 1949 ont été en réalité le plus souvent le fait d’un nombre limité de militants déterminés. Malgré l’engagement des cadres syndicaux, les résultats obtenus sont loin de correspondre aux espérances initiales ».
En écho, son confrère Michel Pigenet constate que pour la CGT locale, la mobilisation se solde « par des centaines de retraits de cartes professionnelles et la perte, quinze ans durant, de la suprématie sur les quais du premier port français ».
Dans la ville, l’épisode aura une autre conséquence, bien éloignée à première vue de la guerre d’Indochine, que rapporte l’historien Alfred W. McCoy dans son livre The Politics of Heroin in Southeast Asia. Dans leur désir de purger le port de Marseille de l’influence cégétiste au profit de Force ouvrière pour faciliter la circulation des marchandises, les autorités et syndicats américains ont financé en sous-main, grâce aux caisses de la CIA, le milieu marseillais, chargé de ramener l’ordre sur les quais avec ses méthodes musclées.
« Quand on ajoute au contrôle des docks l’influence politique que le milieu avait gagnée avec l’aide de la CIA en 1947, les conditions étaient idéales pour que Marseille émerge comme le laboratoire d’héroïne de l’Amérique, écrit McCoy. La police française a plus tard relevé que les premiers laboratoires d’héroïne marseillais avaient ouvert en 1951, quelques mois seulement après la prise de contrôle des quais par le milieu. »
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Pour en savoir plus :
Alfred W. McCoy, The Politics of Heroin in Southeast Asia, Harper & Row, 1972
Edward Rice-Maximin, Accommodation and Resistance: The French Left, Indochina and the Cold War, 1944-1954, Praeger, 1986
Jean-Claude Lahaxe, Les communistes à Marseille à l’apogée de la Guerre froide, 1949-1954, Presses universitaires de Provence, 2006
Michel Pigenet, « Solidarité internationale et fermeture professionnelle : les horizons multiples des dockers français », in : Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 84, 2006
Alain Ruscio, Les communistes et l'Algérie. Des origines à la guerre d’indépendance, 1920-1962, La Découverte, 2019