« Pas un français n’a versé une larme » : la mort de Maurras par Droit et Liberté
72 ans avant Jean-Marie Le Pen disparaissait Charles Maurras, figure d’une autre extrême droite, théoricien politique royaliste antisémite et fondateur de l’Action Française. Le premier décembre 1952, le journal Droit et Liberté peint le portrait d’un homme pour qui aucun Français « n’a versé une larme ».
16 novembre 1952, à l’aube du second XXe siècle, le fils du nationalisme barrésien, l’antidreyfusard, la figure de proue d’un royalisme d’extrême droite s’éteint. Loin du silence parlant de L'Humanité et du long panégyrique de Rivarol, le mensuel publié par le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) ne mâche pas ses mots. Rappelant ses principales actions, son antisémitisme forcené et sa trahison durant l'Occupation, le journal fait de cet article un percutant réquisitoire contre le fondateur de l’Action Française, « le guide malaisant d’une classe en décomposition ».
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MAURRAS est mort... PAS UN FRANÇAIS n'a versé une larme
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Le 16 novembre dernier, Charles Maurras mourait dans une clinique tourangelle ; dans un lit confortable, comme Pétain, qui réalisa, sur le sol de la France occupée, son idéal politique. Pétain avait 94 ans, Maurras 84 ans. La trahison a conservé vieux ces deux sinistres bonshommes, la trahison et la haine du peuple.
Aussi funeste qu'il était sourd, aussi sadique qu'il était frêle et chétif, royaliste sans roi, papiste excommunié, Charles Maurras restera dans l’histoire comme l’un des personnages les plus méprisables et les plus anachroniques de notre temps. Toute sa « personnalité » se signale par la ligne constamment antinationale de sa pensée. Il fut de toutes les canailleries politiques, il applaudit à tous les malheurs frappant la France. Il prôna le mensonge, la délation, le meurtre. Tous ses écrits soulèvent le cœur. Deux phrases le caractérisent, à 42 ans d’intervalle.
Le 7 septembre 1898, faisant état dans la Gazette de France de « faux » Henry, qui entrainait la condamnation de l’innocent Dreyfus il écrivait : Les faux sont d’usage courant, régulier, nécessaire.
En juin 1940, il qualifiait le plus grand désastre que la France ait connu de divine surprise. Dans l’intervalle, il avait armé les bras de l’assassin de Jean Jaurès, et, en 1936 appelé ses « camelots » à assassiner au couteau de cuisine les leaders du Front Populaire.
Faux historien, faux philosophe, traître obstiné, dont le culte de la France était fait du mépris des Français, champion du nationalisme pour la destruction de sa nation, il devint à une époque de transformation économique et sociale, le guide malaisant d’une classe en décomposition. Il forma par ses écrits une fausse élite prête à trahir la France pour détruire la République. Par centaines, ses disciples ont endossé l’uniforme allemand de la L.V.F. ou sont devenus des tortionnaires de la milice. Ce ne sera pas l’un des moindres crimes que l’histoire retiendra contre lui.
Une politique d’appels au meurtre
Arrêté en septembre 1944, il fut juré par la Cour de Justice de Lyon, en janvier 1945. Chacun de ses actes sous l’occupation, chacun de ses écrits méritait la mort. Qu’on juge : le 15 octobre 1942, il écrit : Il faut fournir à l’Allemagne tous les travailleurs dont elle a besoin.
Le 8 décembre 1942 : Il fallait couper des têtes pour éviter le débarquement en Algérie.
Le 8 septembre 1943 : Mieux vaudrait traiter un certain nombre de communistes comme des otages et les exécuter sans tarder.
Le 25 mai 1944 : Prendre des otages parmi les parents et les proches des « bourreaux d’Alger ».
En raison de son grand âge le vieux traitre ne fut condamné qu’à la détention perpétuelle. Au mois de mars dernier, le Conseil Supérieur de la Magistrature, présidé par M. Vincent Auriol, lui rendit la liberté. « Grâce médicale » a-t-on dit. Voir ? Les temps avaient changé de 1945 à 1952. Charles Maurras pouvait encore servir. Son premier écrit fut un appel au meurtre : il demanda la guillotine pour M. de Menthon, ministre M.R.P. de la Justice en 1945. (En l’occurrence, Charles Maurras feignait d’oublier que le M.R.P., malgré des restrictions verbales, soutenait le gouvernement Pinay dans son projet d’amnistie aux collaborateurs.)
Un « maître » de l’antisémitisme
A l'énoncé du verdict de Lyon, qu'il écouta la main en cornet sur l'oreille, le vieux sourd hurla : C'est la revanche de l’affaire Dreyfus ! Cette phrase ne témoigne pas seulement du fait que le bonhomme n'avait rien appris en 50 ans. Elle est une preuve de sa persistance dans le mal. Toute sa trop longue existence, il avait fait de l'antisémitisme un des slogans de sa politique. L’affaire Dreyfus l’avait orienté dans cette voie. II s'y maintint, férocement, conscient que cet antisémitisme pouvait entretenir la division entre les Français et les détourner des véritables problèmes politiques, qui sont des problèmes de classe où le racisme n’a rien à voir. Antiallemand parce qu'il était contre tous les peuples, il était fait pour comprendre et appuyer les nazis.
Les mesures antisémites de Hitler, il les applaudit des deux mains. Quand elles furent prises en France par le gouvernement de Pétain, il clama son enthousiasme. S'il vivait encore, il applaudirait à sa suprême honte, la condamnation à mort par un Tribunal américain des époux Rosenberg, injustement inculpés d'avoir divulgué des secrets atomiques, à la suite d'un procès qui n'est qu'une suite de falsifications et de faux témoignages.
Les raisons d’une « grâce médicale »
C’est là que nous voulons conclure. Ce n’est pas par hasard que le gouvernement des U.S.A., pour porter un coup au mouvement progressiste américain, a choisi, pour les envoyer sur la chaise électrique, un couple de jeunes partisans de la Paix israélites.
Ne faut-il pas, en France aussi, teinter d’antisémitisme une même politique, de cet antisémitisme qui a toujours rapporté jusqu’à ce jour aux ennemis du peuple, et que certains voudraient faire renaître.
Fourrier de l'antisémitisme et de la guerre, le traître Maurras ne pouvait pas être, pour les hommes du gouvernement actuel, maintenu en prison. C'est la raison essentielle de sa « grâce médicale ». Les forces de la réaction avaient encore besoin en France de leur pitoyable chantre. Elles se devaient de le blanchir.
Il est mort. Pas un Français, digne de ce nom, n'a versé une larme.