Sidération générale. En cette fin d’été 1939, les deux grands États européens que tout semble opposer, l’URSS de Staline et le Troisième Reich, signent un traité diplomatique de non-agression. A la Une du Populaire, l’ancien Président du Conseil analyse les possibles funestes conséquences d’un pareil accord.
Les 23 et 24 août 1939, les ministres des Affaires étrangères soviétique (Molotov) et allemand (von Ribbentrop) signent à la surprise générale un « traité de non-agression », soit un pacte de neutralité au cas où l’un des deux Etats déciderait d’attaquer militairement un pays tiers. Abasourdis, les états-majors des pays européens sont consultés et mobilisés. Le pire est en train de s’écrire : une semaine plus tard, l’Allemagne nazie envahit la Pologne, entraînant une réaction immédiate de la part des démocraties britannique et française. C’est le début de la Seconde Guerre mondiale.
Dans son édito pour le journal socialiste Le Populaire du 25 août, l’ancien Président du conseil français Léon Blum laisse entrevoir ce qu’un tel accord est susceptible d’entraîner pour l’Europe – et notamment pour la Pologne. Sans surprise, sa vision est extrêmement morose. Et elle s’avérera juste.
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LA PAIX ET LA GUERRE SONT ENTRE LES MAINS DE HITLER
Le conseil des ministres s'est tenu hier matin. Il n'a certainement pas pu se soustraire à l'examen d'une demande formelle, présentée au nom du groupe le plus important de la Chambre. Cependant la note communiquée à la presse ne fait aucune mention d'une convocation prochaine du Parlement. C'est une faute. Le Groupe socialiste, qui se réunit aujourd'hui même, avisera au moyen de la réparer.
Je n'ai pas de goût pour la polémique avec les communistes. Chacun le sait. Le débat actuel est par surcroît installé par eux sur un terrain tel qu'on éprouve plus que de la gêne à les suivre. Je suis pourtant obligé de noter :
1° Que le texte du pacte germano-soviétique ne contient en aucune façon la clause de style insérée par les Soviets dans tous leurs pactes antérieurs de non-agression et dont la presse communiste ou communisante avait d'avance fait ressortir l'importance, à savoir la clause permettant la dénonciation unilatérale du pacte en cas d'agression contre une tierce puissance ;
2° Que non seulement le pacte ne comporte pas cette clause de style, qui aurait permis aux Soviets de se dégager en cas d'agression allemande contre la Pologne ou la Roumanie, mais qu'il contient deux clauses toutes contraires, les articles 2 et 4, qui eux ne se trouvaient pas dans les pactes antérieurs, et qui stipulent, en premier lieu, l'obligation pour chacune des deux puissances contractantes de n'intervenir ni directement ni indirectement dans une guerre où l'autre serait engagée ; en second lieu, l'interdiction pour chacune des deux parties de participer à un groupement de puissances dirigé contre l'autre.
Si l'on interprète ces deux articles selon leur lettre et leur esprit, ils mettraient la Russie soviétique hors d'état de signer, ou en tout cas d'exécuter, le pacte tripartite avec l'Angleterre et la France sur lequel elle se déclarait cependant prête à poursuivre les négociations.
Le coup de barre donné par le gouvernement soviétique est donc encore plus marqué qu'on n'avait pu le supposer tout d'abord. C'est ce qu'un instinct puissant et spontané avait permis à l'opinion de pressentir.
L'annonce du pacte germano-soviétique a marqué le commencement vrai de l'état d'alarme universelle.
Cela montre assurément que nous avions eu raison d'insister, comme nous l'avons fait depuis des mois et je puis même dire depuis des années, pour l'incorporation de la Russie soviétique dans un front défensif de la paix, car on sent aujourd'hui, par le vide que creuse son absence, que sa présence avait une valeur véritable. Mais cela montre autre chose. Cela montre qu'en signant leur pacte équivoque avec tant d'éclat au moment le plus aigu de la crise, quand la guerre dépend de la seule détermination de Hitler, quand le plus léger déplacement de forces en sa faveur, le plus léger signe de trouble et de désarroi de la part des opinions et des gouvernements démocratiques peut faire prévaloir dans l'esprit du Führer la décision fatale, les Soviets ont porté un coup bien rude à la cause de la paix.
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Je continue pourtant à ne pas la croire désespérée.
Les discours de M. Neville Chamberlain et de lord Halifax ne permettent plus au Führer de supposer que la conclusion du pacte germano-soviétique ait altéré en quoi que ce soit la position de l'Angleterre et de la France.
Les engagements de garantie vis-à-vis de la Pologne demeurent intacts. Une agression contre la Pologne entraînerait les mêmes conséquences.
Aucun acte irréparable n'a encore été accompli, et bien que la balance des risques et des chances ait été dangereusement modifiée, rien ne permet encore d'affirmer que dans l'esprit du Führer la volonté de guerre l'ait emporté.
Le discours de M. Neville Chamberlain contient une information importante et, autant que je sache, inédite. Dans la communication que l'ambassadeur Henderson est allé porter de sa part à Berchtesgaden, il ne s'est pas borné à affirmer fortement la résolution anglaise. Il a rappelé que l'Angleterre restait prête à favoriser une négociation directe entre le Reich et la Pologne, pour qu'elle s'ouvrit dans un esprit de conciliation, de confiance et de paix. C'est à cette offre que répondait donc la fin de non-recevoir enregistrée par le communiqué de l'agence officielle du Reich.
Cette initiative de M. Neville Chamberlain ne surprendra personne. L'imminence du danger en a suscité d'autres auxquelles je ne me bornerai pas à rendre hommage. Avant-hier, le roi des Belges, en son nom propre et au nom des Pays-Bas et des États Scandinaves, lançait un appel ardent et généreux que le Populaire a déjà reproduit.
Dans l'après-midi d'hier, le Pape Pie XII lançait par la radio un appel à tous les chefs d’État, à tous les hommes publics. Presque à la même heure, le président Roosevelt, déployant une fois de plus sa ténacité vraiment héroïque, s'adressait au roi d'Italie. II demandait avec insistance au roi de reprendre le projet de conférence internationale lancé par lui à trois reprises et offrait à cet effet le plein concours des États-Unis.
Ainsi dans l'univers entier, c'est un concert de voix qui s'élève. Elles tiennent à peu près le même langage. « Que la force de la raison et non celle des armes fasse prévaloir la justice », dit le Pape Pie XII. « Les peuples, dit le roi Leopold, veulent la paix dans le respect des droits de toutes les nations, une paix durable, fondée sur un ordre moral. » Le président Roosevelt demande le retour à la confiance et à la moralité internationales ; il continue à proposer pour but à la conférence la coopération économique et le désarmement. Tous condamnent avec la même énergie le recours à la force comme solution des litiges internationaux.
Il n'y a rien dans ces appels concordants à quoi l'opinion française unanime, j'en suis sûr, songe à refuser son assentiment. Les discours si puissants et si émouvants de M. Neville Chamberlain et de lord Halifax contenaient d'avance l'adhésion anglaise. Résolues à résister à la violence, ni l'Angleterre ni la France n'envisagent un seul instant de recourir elles-mêmes à la violence. C'est au chancelier Hitler que cet appel universel s'adresse. C'est de sa réponse que tout dépend.