Paris, ville ouverte : l’allocution de Paul Reynaud après la défaite de 1940
Après plusieurs semaines de déroute, l’armée française abdique devant la Wehrmacht. Le 13 juin au soir, le président du Conseil Paul Reynaud, en place depuis trois mois, prononce une allocution tendue qui prend acte de la défaite – et appelle les Français à ne « pas se laisser abattre ».
Le 14 juin 1940, à la suite de plusieurs mois de « drôle de guerre » et à peine quelques semaines de combat, la France se couche devant l’Allemagne nazie. Trois jours plus tôt, le nouveau gouvernement de Paul Reynaud a été contraint de quitter, en hâte, Paris pour un endroit tenu secret « quelque part en France », plus au sud. Paris est déclarée ville ouverte. C’est la fin.
Le 13 juin au soir, le président du Conseil Paul Reynaud prononce un discours, âpre et sans illusion, qui exhorte le président américain Roosevelt à venir au plus vite en aide à la Grande-Bretagne et officialise peu ou prou la défaite (que l’on croit) définitive de l’armée française. Celui-ci est repris en première page dans Le Petit marseillais du lendemain.
Reynaud démissionne le 16 juin, tandis que le maréchal Pétain forme un nouveau gouvernement, « coopérant » vis-à-vis du nouvel occupant. Pétain demandera alors à Raynaud de devenir ambassadeur de France auprès des États-Unis ; il refusera.
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M. PAUL REYNAUD A PARLÉ, HIER SOIR, A LA RADIO
« L’ÂME DE LA FRANCE », A DIT LE PRÉSIDENT DU CONSEIL, « N’EST PAS VAINCUE »
« Au moment où le sort les accable, je veux crier au monde l’héroïsme de nos armées
La France blessée a le droit de se retourner vers les autres démocraties et de leur dire : "J’ai des droits sur vous !" »
QUELQUE PART EN FRANCE, 13 JUIN — LES MEMBRES DU GOUVERNEMENT SE SONT RÉUNIS, CE SOIR, SOUS LA PRÉSIDENCE DE M. A LEBRUN, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE. ILS ONT CONFÉRÉ SUR LA SITUATION POLITIQUE ET MILITAIRE A 23 H 30. M. PAUL REYNAUD A PRONONCE UNE ALLOCUTION RADIODIFFUSÉE, DONT LE TEXTE AVAIT FAIT L’OBJET DE LA DÉLIBÉRATION DES MINISTRES. VOICI LE TEXTE DE CETTE ALLOCUTION :
Dans le malheur qui s'abat sur la Patrie, il faut avant tout qu’une chose soit dite : au moment où le sort les accable, je veux crier au monde l’héroïsme des armées françaises, l’héroïsme de nos soldats, l’héroïsme de leurs chefs. J'ai vu, arrivant de la bataille, des hommes qui n’avaient pas dormi depuis cinq jours, attaqués par les avions, rompus par les marches et par les combats. Ces hommes, dont l’ennemi avait cru briser les nerfs, ne doutaient pas de l’issue finale de la guerre. Ils ne doutaient pas du sort de la Patrie.
L’héroïsme des armées de Dunkerque a été dépassé dans les combats qui se livrent de la mer à l'Argonne. L'âme de la France n’est pas vaincue. Notre race ne se laisse pas abattre par une invasion ; le sol sur lequel elle vit en a tant vu au cours des siècles. Elle a toujours refoulé ou dominé l'envahisseur. Tout cela, les souffrances et la fierté de la France, il faut que le monde le sache, il faut que partout sur la terre les hommes libres sachent ce qu’ils lui doivent. L’heure est venue, pour eux, de s’acquitter de leur dette.
L’armée française a été l’avant-garde de l’armée des démocraties. Elle s’est sacrifiée, mais, en perdant cette bataille, elle a porté des coups redoutables à l’ennemi commun : des centaines de chars détruits et d’avions abattus, les pertes en hommes, les usines d’essence synthétique en flammes, tout cela explique l’état présent du moral du peuple allemand malgré ses victoires.
La France blessée a le droit de se retourner vers les autres démocraties et de leur dire : « J’ai des droits sur vous ». Aucun de ceux qui ont le sentiment de la justice ne pourrait lui donner tort.
Mais autre chose est d’approuver et autre chose d’agir. Nous savons quelle place tient l’idéal dans la vie du grand peuple américain. Hésiterait-il encore à se déclarer contre l’Allemagne nazie ? Je l’ai demandé au président Roosevelt, vous le savez. Je lui adresse ce soir un nouvel et dernier appel.
Chaque fois que j’ai demandé au Président des États-Unis d’augmenter sous toutes les formes l’aide que permet la loi américaine, il l’a fait généreusement et il a été approuvé par son peuple.
Mais aujourd’hui nous n’en sommes plus là.
Il s’agit aujourd’hui de la vie de la France, en tous cas des raisons de vivre de la France.
Notre combat chaque jour plus douloureux n’a désormais de sens que si en le poursuivant, nous voyons grandir, même au loin, l’espoir d’une victoire commune. La supériorité en qualité de l’aviation britannique s’affirme tous les jours. Il faut que des nuées d’avions de guerre, venues d’outre-Atlantique, écrasent la force mauvaise qui domine l’Europe.
Malgré les revers, la puissance des démocraties reste immense. Nous avons le droit d’espérer que le jour approche où toute cette puissance sera mise en œuvre. C’est pourquoi nous gardons l’espérance au cœur. C’est pourquoi aussi nous avons voulu que la France garde un gouvernement libre.
Pour cela nous avons quitté Paris. II fallait empêcher qu’Hitler supprimant le gouvernement légal ne déclare au monde que la France n’a pas d’autre gouvernement qu’un gouvernement de fantoches à sa solde, semblable à ceux qu’il a tenté de constituer un peu partout.
Au cours des grandes épreuves de notre histoire, notre peuple a connu des jours où les conseils de défaillance ont dû le troubler ; c’est parce qu’il n’a jamais abdiqué qu’il est si grand. Quoi qu’il arrive dans les jours qui viennent, où qu’ils soient, les Français vont avoir à souffrir.
Qu’ils soient dignes du passé de la nation ! Qu’ils deviennent fraternels ! Qu’ils se serrent autour de la Patrie blessée ! Le jour de la résurrection viendra.