À la Libération, Fresnes devient le « palace » des collabos
Dès août 1944, la prison de Fresnes est utilisée pour incarcérer les grands collaborateurs. Leurs conditions de détention, pour le moins clémentes, font scandale.
À partir d'août 1944 et de la Libération, ce que l'on nommera plus tard « l'épuration » débute. Avec elle, les structures ayant servi sous l'Occupation à l’internement des résistants, mais aussi des nomades, des Juifs et des Républicains espagnols, sont réquisitionnées pour incarcérer les collaborateurs présumés. Dans la région parisienne, ils sont rassemblés au Vélodrome d’Hiver et au camp de Drancy, ainsi qu’à la prison de Fresnes.
En septembre 1944, deux acteurs majeurs du régime de Vichy sont ainsi incarcérés à Fresnes : Amédée Bussières, préfet de police de Paris lors de la rafle du Vél d'Hiv', et René Bouffet, préfet à Rouen puis préfet de la Seine.
Il faut peu de temps pour que le scandale de leurs conditions de détention éclate. Le 22 septembre 1944, L'Humanité titre en une :
« À Fresnes-Palace, traitement douillet pour les préfets de Hitler Bouffet et Bussières. »
Le quotidien publie un entretien avec André Tollet, résistant de la première heure devenu président du Comité parisien de Libération. Tollet connaît bien Fresnes, et pour cause : il y a été incarcéré plusieurs mois pendant la guerre. Il raconte ce qu'il y découvre lors de sa première visite dans le cadre de ses nouvelles fonctions :
« Cette vie de lutte que j'ai menée [...] m'est à l'heure actuelle d'un bien précieux secours dans les fonctions que j'assume. [...]
Et je dois dire que les souvenirs de mon séjour m'ont permis de déceler les irrégularités, les injustices et aussi les sévices de certaines gens, anciens collaborateurs, tortionnaires et tueurs de patriotes, qui sont d'ailleurs toujours en place. »
Lors de sa visite, André Tollet a en effet l’effroyable surprise de croiser ses anciens geôliers toujours en place. Des collaborateurs chargés de surveiller les leurs, donc :
« J’ai vu de mes yeux [...] un certain Bessageret, collaborateur notoire, un homme qui, le fusil à la main, allait rattraper Todesio, un détenu évadé, patriote du deuxième bureau, pour le faire mettre à mort.
J'ai vu à leurs postes tous les surveillants qui contribuèrent à sa capture.
J'ai vu, au greffe, Bonnet, une sinistre brute qui n'était pas pour moi une nouvelle connaissance, un dégénéré bestial qui n'était content le matin que lorsqu'il avait en main, vrais ou faux, cinq rapports contre les détenus politiques.
Mais la chose la plus inconcevable, c'est qu'on prétend faire revenir à Fresnes, en qualité de directeur, Cervoni, tout simplement celui qui assumait ces fonctions sous l'occupation, l'homme qui faisait des courbettes devant les Allemands, l'homme qui brimait les patriotes, qui voulut m'envoyer au cachot parce que je refusais de me mettre devant lui au garde-à-vous, comme il l'exigeait, l'homme qui qualifiait d'impertinente la lettre que je lui envoyais pour demander du savon pour les détenus politiques, l'homme qui, quelques jours avant l'insurrection parisienne, donna l'ordre de retirer les clefs aux gardiens, afin que ceux-ci n'ouvrissent pas les portes de la prison aux patriotes détenus. »
C'est à l'infirmerie qu'André Tollet trouve Bussières et Bouffet, les deux préfets de Vichy, preuve irréfutable de leur traitement de faveur. Car, comme l'explique Tollet :
« Ce n'est un secret pour personne que dans notre administration pénitentiaire, nul n'est considéré comme malade et par conséquent admis à l'infirmerie s'il n'est à l'article de la mort.
Nous nous enquîmes donc des médications prescrites, en particulier à Bussières. Ses fiches médicales ordonnaient des promenades fréquentes, les fenêtres ouvertes la nuit, deux cachets d'aspirine et autres fariboles.
Mais quel ne fut pas notre étonnement de ne trouver aucune trace du bulletin d'admission de tous ces beaux messieurs. »
Et l'ancien résistant de conclure :
« Il est évident que nous ne pouvons pas laisser les ennemis du peuple entre les mains de gens qui auraient leur place dans les cellules qu'ils ont charge de garder. »
La situation à Fresnes sera régularisée au cours des mois suivants.
De nombreux collaborateurs y seront détenus, notamment le vice-président du Conseil Pierre Laval, exécuté en octobre 1945 dans les murs mêmes de la prison, ou l'écrivain Robert Brasillach, emprisonné jusqu'à son exécution en février 1945 et où il écrivit les Poèmes de Fresnes.