1833 : « L’Émeute des quatre sous » tourne à la faveur des mineurs
À Anzin, en mai 1833, des mineurs protestent contre la diminution de leur tarif journalier. C’est « l’émeute des quatre sous », considérée comme l’une des premières révoltes sociales de l'époque pré-syndicale en France.
« À bas les Parisiens, vivent les Mathieu d'Anzin ! »
C'est à ce cri que la grève des mineurs débute le 17 mai 1833 à Valenciennes. Ils sont plusieurs centaines à s'être rassemblés devant le siège de la compagnie des mines d'Anzin, historiquement détenue par la famille Mathieu, pionnière dans l'exploitation du bassin minier.
L'âge d'or est révolu pour ces ouvriers. En 1821, l'arrivée de Casimir Perier à la direction a marqué le début d'une rationalisation de la gestion de l'entreprise. Exit les anciens cadres de la compagnie, alors proches des mineurs ; ils ont été remplacés par des gestionnaires nommés depuis le « bureau de Paris ».
En 1824, le salaire des mineurs a été abaissé de 34 à 30 sous par jour. La grève de mai 1833 éclate alors que leurs conditions de vie n'ont, depuis lors, pas cessé de se dégrader.
Au bout de quatre jours, la grève devient générale et acquiert un retentissement national. Le 23 mai, les « troubles » d’Anzin sont ainsi minutieusement rapportés par Le Journal des débats, qui cite le principal quotidien local, Le Courrier du Nord. La rhétorique est clairement orientée : les « mutins » ont des « intentions hostiles » :
« [...] C'est vendredi matin que ces troubles ont commencé. Les charbonniers se sont portés en masse à la direction, à Saint-Vaast-là-Haut ; des vitres y ont été brisées, les habits d'un employé des mines ont été lacérés et jetés au vent, mais l'arrivée de quelques gendarmes a dissipé cet attroupement. [...]
La journée de samedi se passa aussi assez tranquillement ; mais vers neuf heures du soir, une bande de 100 à 150 charbonniers arriva devant les bâtiments de la direction, à Saint-Vaast, en chantant et en vociférant. Le poste, composé de 16 gardes nationaux, de 12 hommes du 7e de ligne et d'un piquet de cavalerie, prit immédiatement les armes et se rangea en bataille sur la route.
Les charbonniers continuèrent alors leur marche et se dirigèrent vers les machines à feu qui sont destinées à épuiser l'eau qui se trouve dans les mines.
Le but de ces mutins était d'éteindre le feu de ces machines, d'en arrêter les travaux, et d'inonder par là les houillères. [...]
Ce nombre beaucoup trop minime de soldats était loin d'être suffisant pour s'opposer aux intentions hostiles de ces charbonniers ; aussi, malgré la résistance que voulurent opposer ces militaires, le feu des machines fut-il bientôt éteint par cette bande. »
Le 27 mai, les ouvriers reprennent le chemin du travail sans avoir rien obtenu.
Moins d’un mois plus tard, le 24 juin, le procès de 19 mineurs s’ouvre sous le chef d’accusation de « délit de coalition », lequel est interdit en France depuis la loi Le Chapelier de 1791.
Et pourtant, le procès tourne largement à la faveur des mineurs : c’est en réalité la pénible condition des mineurs qui se retrouve sur le banc des accusés.
Les débats, relayés par la presse, mettent en lumière l'absence de troubles majeurs à l'ordre public et reconnaissent la légitimité des revendications. Les accusés ne sont pas des « mutins » mais de « courageux ouvriers » ; plus d'« intentions hostiles » mais l'expression d'une « profonde misère ».
La Gazette nationale s'en fait ainsi l'écho :
« Considérant, cependant, qu’il est bien remarquable qu’au milieu des rassemblemens [sic] même, la voix de l’honorable maire d’Anzin n’a jamais été entièrement méconnue ;
qu'aucune menace, qu’aucune insulte n’a été faite, soit aux magistrats de l’ordre administratif ou judiciaire, soit au commandant de la force armée ;
que toutes les autorités furent toujours respectées ;
qu’aucune parole offensante contre le Roi ou son Gouvernement n’a été proférée ;
qu’enfin 5 000 ouvriers n’ont, pendant dix jours, sur un rayon de frontière de huit lieues, commis aucun dégât dans les fosses ;
que ces faits, joints à leur bonne conduite antérieure, à l’ancienne et profonde misère de ces courageux ouvriers, la plupart chargés d’une nombreuse famille, réclament en leur faveur toute l’indulgence de la justice. »
La justice se montre clémente : elle prononce des peines d’emprisonnement de quelques jours pour certains, acquittera les autres.
À l’énoncé du verdict, une explosion de joie retentit dans le tribunal :
« Ce jugement a été accueilli par les bravos de l’auditoire, qui, ainsi que le public, n’attendait pas moins de l’humanité et de la justice du tribunal. On a remarqué l'émotion visible du président en le prononçant. Plusieurs des prévenus ont eux-mêmes versé des larmes en entendant leur condamnation. »
Le président du tribunal s'adresse alors aux mineurs en ces termes :
« Toutes les autorités forment des vœux sincères pour l’amélioration de votre sort, la voix de l’humanité ne tardera pas à se faire comprendre ; les riches propriétaires des établissements des mines ne peuvent être vos tyrans.
Non, ils ne peuvent l’être ; un titre plus digne leur est réservé ; ils ne laisseront pas à d’autres le mérite d’être vos bienfaiteurs. »
À la suite de ce procès hors du commun, et sous la pression populaire, la compagnie minière finira par céder sur la question du salaire, accédant à la demande de revalorisation de quatre sous.
Le Constitutionnel commente :
« Les régisseurs de la compagnie des mines d'Anzin ont senti qu'ils ne pouvaient résister plus longtemps aux justes réclamations d'une population toute entière ayant pour elle l'opinion de tout le pays et les vœux des autorités elles-mêmes.
À dater du 1er juillet, on a dû tendre aux ouvriers les quatre sous qu'on leur avait retranchés depuis 1823. »
Trois ans plus tard, il sera à nouveau revalorisé de 30 centimes (soit 6 sous) quand l'ouverture de nouvelles usines donna aux ouvriers l'opportunité d'aller chercher un emploi ailleurs. Les autres compagnies minières aligneront leur taux de salaire sur ceux d'Anzin, qui resteront à ce niveau jusqu'en 1847.
L’émeute des quatre sous est considérée comme l’une des premières révoltes sociales de l'époque pré-syndicale en France.