Écho de presse

Quand le Front populaire effrayait la presse de droite

le 11/04/2022 par Pierre Ancery
le 07/04/2022 par Pierre Ancery - modifié le 11/04/2022

En avril 1936, face à la possible victoire du Front populaire aux législatives, la presse conservatrice met en garde les électeurs en agitant le spectre de la guerre et de l'anarchie. 

Le 26 avril 1936 se tient le premier tour des législatives, dans une France violemment clivée et encore marquée par les émeutes de 1934. Une formation politique semble alors en passe de l'emporter : le Front populaire, coalition de gauche réunissant la SFIO, le Parti radical-socialiste et le Parti communiste. L'alliance, scellée deux ans plus tôt, est menée par le socialiste Léon Blum.

La possible victoire du Front populaire suscite les craintes de la presse de droite et d'extrême-droite, qui agite le spectre de l'anarchie, de la guerre, voire de l'invasion étrangère (allemande ou soviétique), pour convaincre les électeurs de ne pas voter pour la coalition de gauche.

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Du côté de la droite modérée, le jour du scrutin, Le Temps, quotidien républicain conservateur, en appelle dans son éditorial au « sérieux » des électeurs et leur demande de ne pas « s'en remettre « au hasard » :

« Qui veut la paix veut l’ordre, l’ordre partout, et d’abord chez soi. La France, la République française ne peut être défendue que par ceux qui croient en elle. Or, tous les révolutionnaires contestent à la République la vertu et le droit de subsister. C’est par là qu’ils mettent la paix en péril. Les communistes se sont travestis et masqués pour s’introduire dans la République et la réduire à merci. Dissimulés dans leur « cheval de Troie », ils prétendent apporter aux Français la liberté, le pain et le bonheur. Ils ne préparent que notre ruine et notre asservissement. Ils n’ont pas d’autre morale, d’autre dogme, d’autre principe que la violence. Ils feignent de vouloir supprimer tout privilège, mais c’est pour devenir des maîtres privilégiés. »

Le même jour, dans le quotidien de droite patriotique L'Écho de Paris, le rédacteur en chef Henri de Kerrilis en appelle vivement à la mobilisation des électeurs pour éviter la catastrophe :

« Si vous connaissez un patriote, un homme d'ordre tenté de s'abstenir, ne perdez pas un instant, précipitez-vous chez lui, suppliez-le de faire son devoir, traînez-le à l'urne en lui représentant la responsabilité qu'il encourrait par sa désertion civique. Ne votez jamais blanc. [...]. Il faut voter pour le moins rouge contre le plus rouge. Ne vous abstenez jamais. Faites aujourd'hui le barrage des bons Français contre le « Front populaire ». C'est votre devoir. »

Il faut voter « national » car si le Front populaire passe, ajoute-t-il, « la France sera, dans une semaine, plus faible, plus disloquée, plus exposée. S'il passe, le danger épouvantable de la guerre aura grandi sur les toits de nos foyers, sur les têtes de nos enfants ».

À l'extrême-droite, L'Action française titre : « Votez contre la révolution et la guerre ». Le quotidien nationaliste, monarchiste et antisémite brandit la menace de l'invasion étrangère en cas de victoire de la gauche, le chroniqueur Georges Gaudy allant jusqu'à prédire une situation d'anarchie, voire de guerre civile en France :

« Soit que les déchirements qui en seraient la conséquence, l'anarchie et la guerre civile déclenchent l'agression hitlérienne, soit que le nouveau gouvernement, pour accomplir les vœux de ses membres et obéir à la Russie des Soviets, prenne lui-même l'initiative des opérations, nos frontières seraient vite mises à feu et à sang, pendant que le territoire serait ravagé par de cruelles discordes. »

Dans les mêmes colonnes, Charles Maurras abjure les électeurs de voter « contre le Mal » :

« Soutenir devant l'urne ce gouvernement du Front populaire, ce gouvernement de complicité communiste, porterait un coup à la sécurité intérieure et extérieure du pays. »

Un an plus tôt, dans le numéro du 9 avril 1935, le même Maurras parlait de Léon Blum comme d'un « homme à fusiller, mais dans le dos< »

Le 26 au soir, le Front populaire est majoritaire avec 5,6 millions de voix, soit 57,2% des suffrages exprimés. Lors du second tour, le 3 mai, la formation de gauche l'emporte avec une majorité absolue de 386 sièges sur 610.