Écho de presse

La prostitution à Paris au XIXe siècle vue par un médecin hygiéniste

le 11/11/2021 par Marina Bellot
le 29/10/2018 par Marina Bellot - modifié le 11/11/2021
Une maison de tolérance au XVIIIe siècle, W.M. Hogarth, estampe, 1732 - source : Gallica-BnF
Une maison de tolérance au XVIIIe siècle, W.M. Hogarth, estampe, 1732 - source : Gallica-BnF

En 1835, un ouvrage de référence sur la prostitution parisienne fait débat. Fruit d'une enquête de huit ans, son auteur, un médecin hygiéniste, préconise de favoriser les maisons closes et de cesser de criminaliser les « raccrocheuses ».

En 1804, Napoléon donne une existence légale aux maisons de débauche, qui deviennent tolérées sous l'Empire. Il s'agit avant tout de cacher les prostituées, considérées comme membres des classes dangereuses, bien loin de l'image de la femme légitime, bonne épouse et bonne mère, que le Code civil a façonnée.

Pourtant, loin de se cantonner aux maisons de débauche, la prostitution se montre toujours volontiers dans l’espace public, sur les boulevards, dans les bois, à la périphérie, comme le décrit  Le Figaro en 1829 :

«​ Puis j'avançais sur le boulevard, et j'observais dans ses moindres phases la prostitution parisienne. D'abord, à dater de la Bastille, cette prostitution est honteuse. Elle se fait en petit, commençant par quelque jeune enfant qui chante une chanson obscène pour divertir les hommes du port et les commis de l'octroi. 

Vous avancez, la prostitution change de face : le tablier noir, le bas de coton blanc, le bonnet rond, le regard modeste et furtif [...]. Plus haut, la prostitution est parée, nue, en cheveux [...], puis enfin la prostitution de grand seigneur : une femme jeune et belle, séduisante, une danseuse d'Opéra. 

À cette heure, la prostitution est complète. »

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La crainte grandit alors de voir la syphilis, maladie sexuellement transmissible et alors mortelle, se propager dans la capitale. La prostitution hors des maisons closes est en conséquence de plus en plus punie et les femmes qui racolent sur la voie publique atterrissent à « l'hôpital-prison » de Saint-Lazare sur simple avis médical.

C’est dans ce contexte que paraît en 1836 ce qui deviendra l’ouvrage de référence sur l'histoire de la prostitution parisienne au XIXe sicèle : De la Prostitution dans la ville de Paris, considérée sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de l’administration.

Son auteur, Alexandre Parent du Châtelet (ou Duchâtelet), est un médecin hygiéniste réputé dont le combat est de faire de Paris une capitale salubre et saine, gage selon lui du maintien de l’ordre social et de la santé mentale de la population.

De huit années d’enquête approfondie, il en vient à une conclusion : la prostitution est inévitable et les lois visant à l'interdire sont inutiles et même, dangereuses. 

Ainsi, écrit-il : 

«​ Défendre aux filles de débauche de raccrocher dans les rues, sur les quais, places, promenades publiques et sur les boulevards sous peine d’être ensuite renfermées à l'hôpital et de châtiment corporel en cas de récidive,

et en même temps interdire à tous propriétaires et locataires de les recevoir et de les loger, c’est vouloir l’impossible, c’est prescrire choses qui se repoussent et en rendant l’administration ridicule lui ôter tout l’ascendant moral qui fait sa première force. »

Depuis 1804, les travailleuses des maisons closes sont en effet censées s'inscrire à la préfecture, puis passer une visite médicale par mois. Mais la réalité est tout autre, comme le constate Parent du Châtelet, et les contrôles médicaux sont largement insuffisants.

Le médecin préconise d’encadrer la prostitution en favorisant l'existence et le bon fonctionnement des maisons closes et en renforçant le suivi médical pour éviter la propagation de la syphilis. 

Inédit de par son ampleur et par la perspective à la fois scientifique et sociologique dans laquelle il s'inscrit, l'ouvrage de Parent du Châtelet fait date et est « lu avec empressement, critiqué amèrement par les uns, jugé favorablement par les autres », rapporte Le Constitutionnel, qui salue l'apport de ce considérable travail : 

«​ Parent-Duchâtelet, en traitant un pareil sujet, n'eut point à rougir de sa plume.

Libre et sans place, il a distribué avec impartialité la louange et le blâme sur l'administration, dont les mesures et la surveillance ont eu de bons ou fâcheux résultats.

Homme religieux et exempt de préjugés, il a dit tout ce que pouvaient réclamer de lui la science, le bien de la société et celui de la classe abjecte et malheureuse qui lui a fourni tant de sujets d'études et de méditations. [...]

Son succès a été rapide, et ce succès était légitime. »

Saluant le « courage et la grande force de conscience » de Parent-Duchâtelet pour avoir réussi à dresser une telle « peinture des turpitudes humaines les plus hideuses et les plus basses », Le Journal des Débats politiques et littéraires se rallie également à sa conviction – malgré la répugnance que lui inspire la prostitution :

« Puisqu'un tel sujet a pu être traité par un savant irréprochable, puis que l'on a pu en entretenir le public sans scandale, nous ne devons pas nous dispenser à notre tour, de rechercher dans l'ouvrage de Parent les instructions qu'il renferme et de signaler les vérités utiles qu'il a mises au jour. [...]

Ce n'est pas ici le lieu de faire la guerre aux principes et de rappeler tous les maux dont les hommes ont été victimes en leur nom ; je veux seulement justifier les gouvernemens [sic] et les sociétés du reproche d'immoralité que l'on a souvent adressé à quelques-unes de leurs institutions.

Non ce n'est pas de l'immoralité, c'est de la nécessité à laquelle on ne peut se soustraire ; ce n est pas de la corruption, c'est reconnaître un fait qui domine la nature et auquel il faut se soumettre. La faute n'est pas d'avouer ce fait et d'en tenir compte dans les institutions, au contraire, la faute serait de le méconnaître et de se livrer aveuglément à toute la puissance du mal. [...]

Le devoir des philosophes et des législateurs est de ne se faire aucune illusion, de sonder exactement la profondeur du mal, de bien apprécier les exigences des passions, et de leur faire ensuite la part la moins large, de les cerner le plus possible, mais non de les extirper, car elles feraient bientôt irruption et leur échapperaient de toute part sans au'il leur fût possible de les contenir par les plus séduisantes théories et les plans les mieux combinés.

Loin des évocations « folkloriques » habituelles de la presse, cet ouvrage servira de source d'inspiration à de nombreux auteurs de la deuxième moitié du XIXe siècle, et notamment à Eugène Sue pour Les Mystères de Paris.

La IIIe République verra la multiplication des maisons closes, qui quoique faisant partie intégrante de la vie sociale, cacheront bien souvent une grande violence morale et physique, de même que l'exploitation économique des femmes revendues de maison en maison et soumises à une discipline quasi-militaire.

À la fin du XIXe siècle, un mouvement abolitionniste apparaîtra en France, à l'initiative de militants protestants soucieux de bâtir une « république morale ».

En 1946, la loi Marthe Richard entraînera la fermeture des maisons closes.

Pour en savoir plus : 

L'émission de La Marche de l'Histoire consacrée à la prostitution au XIXe siècle via le site de France Inter

L'article du Monde sur la fermeture des maisons closes via lemonde.fr

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