1905 : Le monument en mémoire du chevalier de La Barre
Le 3 septembre 1905, à l’occasion de l’ouverture du Congrès international de la Libre Pensée, une manifestation d’ouverture en l’honneur du chevalier de La Barre est organisée. Les participants sont invités à se diriger en masse vers la Butte Montmartre afin d'assister à l'inauguration du monument dénonçant le fanatisme religieux.
Le martyre du chevalier de La Barre
Un crucifix entaillé et des immondices jetées sur une représentation du Christ dans un cimetière. Ces deux actes, commis le 9 août 1765, bouleversent et choquent les Abbevillois. Rapidement des rumeurs circulent sur les auteurs de ces profanations. Des jeunes gens connus pour être favorables aux idées des Lumières sont les coupables désignés. Parmi les histoires que l’on raconte sur eux, on mentionne des chansons raillant la religion et le fait qu’ils ne se sont pas découverts devant une procession du Saint-Sacrement.
Cette affaire s’insère dans un contexte local particulier, où les rivalités sont exacerbées entre les différentes familles influentes de la ville et de la province. Certains des jeunes gens suspects réussissent à s’enfuir ou sont mis à l’abri des poursuites, à l’exception de François-Jean Lefebvre, chevalier de La Barre, et Moisnel. En raison de son jeune âge, ce dernier bénéficie de la clémence des juges mais le chevalier de La Barre est condamné à avoir le poing coupé, la langue arrachée, la tête tranchée puis son corps brûlé. Le 1er juillet 1766, il est conduit au bûcher après avoir été soumis à la question. Il porte une pancarte mentionnant qu’il est impie, blasphémateur et sacrilège exécrable. Lorsque l’on livre son corps aux flammes, le bourreau jette sur le bûcher un livre de Voltaire (icono 1).
C’est cette histoire que le journaliste Dumoulin raconte dans un article regorgeant de détails. Il entend faire un article « dégagé des préoccupations présentes ». Cette volonté de se dégager du contexte n’est qu’un vœu pieux car tout dans cette histoire et la façon de la raconter rappelle l’actualité politique marquée par les virulentes prises de position en faveur ou contre la séparation des Églises et de l’État.
Une période tendue
La commémoration du supplice du chevalier de La Barre ne peut donc pas se comprendre si elle est isolée des événements politiques de 1904 et de 1905. Après une première offensive avec la promulgation de la loi de 1901 sur les associations, les Républicains favorables à la laïcité soutiennent la politique énergique du gouvernement d’Émile Combes. En 1904, toutes les demandes d’autorisation des congrégations masculines sont rejetées, provoquant la fermeture de plusieurs couvents. Les choix du gouvernement Combes, provoquant de nombreuses tensions avec le Vatican, conduisent à la rupture des relations diplomatiques entre la République française et le Saint-Siège.
Le Concordat de 1801 devenant, par là même, caduc, Combes se rallie à l’idée d’une séparation des Églises et de l’État mais sa chute provoquée par l’Affaire des fiches l’éloigne du pouvoir, remplacé par Maurice Rouvier. Le 4 mars 1905, Aristide Briand présente le rapport de la commission Buisson-Briand proposant une séparation complète des Églises et de l’État. Après d’âpres discussions, la loi est votée le 3 juillet 1905 par la Chambre des députés et doit être adoptée par le Sénat en décembre 1905.
Alors qu’après un premier vote défavorable les opposants à la laïcité tentent de réagir afin d’obtenir un rapport de force favorable au Sénat, il est indispensable aux tenants de la laïcité de montrer leur force et de continuer à s’exprimer. C’est donc dans ce contexte que cette manifestation trouve sa raison d’être. Les Parisiens qui y participent affirment « au monde entier [leur] volonté formelle de réaliser sans délai la Séparation des Églises et de l’État ». Le chevalier de La Barre devient le martyr idéal pour les libres penseurs, preuve de la nécessité d’extirper « les racines du cléricalisme » du sol français afin d’établir la République.
La manifestation
Le 3 septembre 1905, près de 25 000 personnes répondent à l’appel des organisateurs et se retrouvent au pied de la butte Montmartre afin d’organiser un cortège qui gagnera « le monument grotesque du cléricalisme ». La manifestation doit permettre d’exprimer les protestations d’une partie de la population parisienne contre la loi du 24 juillet 1873, déclarant d’utilité publique la construction de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre. L’inauguration du monument érigé en mémoire du chevalier de La Barre doit venir illustrer cette nécessité d’un « acte de révision laïque ». Dans son discours, le conseiller municipal M. Le Grandais résume l’état d’esprit des manifestants en présentant le Sacré-Cœur de Montmartre comme la forteresse des jésuites et le compare à la Bastille du cléricalisme.
Les journaux décrivent avec moult détails la manifestation. On y retrouve de façon récurrente l’attention portée aux slogans qui se sont fait entendre. Les cris de ralliement « À bas la calotte ! À bas l’Église ! Vive Combes ! » ne laissent planer aucun doute sur la motivation des manifestants qui se présentent devant la « maison du fanatisme ». Les chansons entonnées sont également marquées politiquement comme L’Internationale, L’Anticléricale, La Carmagnole et La Séparation. On note également l’internationalisme de cette manifestation où l'on remarque la présence de délégations venues d’Allemagne, de Belgique et d’Italie.
Au final, cette manifestation s’est bien déroulée puisqu’aucun débordement n’a été signalé. Il faut préciser tout de même que le préfet Lépine avait particulièrement veillé à ce que les services de police soient mobilisés, encadrant les manifestants depuis le pont Caulaincourt jusqu’au monument du chevalier de La Barre. Malgré un succès indéniable, l’inauguration a été précipitée puisque l’artiste, le sculpteur Bloch, n’ayant pas eu le temps de terminer son œuvre, c’est une maquette grandeur nature qui a été inaugurée.