Écho de presse

Johnny Coulon, boxeur ou sorcier ?

le 28/05/2018 par Michèle Pedinielli
le 04/04/2018 par Michèle Pedinielli - modifié le 28/05/2018
Deux hommes vigoureux tentant vainement de soulever « l'insoulevable » boxeur poids coq Jimmy Coulon, dans Le Matin et Le Petit Parisien - source : RetroNews-BnF

En 1920, le boxeur canadien fait sensation en France. Alors qu’il ne pèse même pas 50 kg, aucun homme n’arrive à lui faire décoller les pieds du sol. Des scientifiques se penchent sur cette énigme.

Il n’est pas bien épais, Johnny Coulon. Ce champion du monde des poids coq  mesure 1 m 53 et affiche tout juste 49 kg sur la balance. Et pourtant en ce mois de décembre 1920, il met au défi les hommes les plus musclés dans une exhibition incroyable. Le tout-Paris bruisse de son « pouvoir étrange ».

« Hier soir, à la salle Pages, rue Paul Louis-Courier, les hommes les plus forts de Paris étaient réunis, tous prêts à démasquer une supercherie que la plupart pressentaient. Il n'en fut rien l'un après l’autre, ils durent s'avouer vaincus.

Yves le Boulanger lui-même, l'homme qui, l'autre semaine, soulevait 252 kilos 500, ne put arriver à déraciner du parquet de la salle les 49 kilos du minuscule boxeur.

C'est un peu fort ! s'exclama-t-il tout décontenancé. »

Cette « curieuse énigme scientifique » selon les mots de La Petite République intervient dans un contexte où le surnaturel est en vogue (Arthur Conan Doyle lui-même ne croit-il pas aux esprits ?)

« Curieuse époque que la nôtre où le matérialisme le plus effréné se heurte aux plus étranges et mystérieux problèmes.

Edison s’occupe de converser avec l’au-delà, Flammarion nous crie sa foi en la survivance, et de tous les points de l’univers on cite des cas troublants que la science se déclare impuissante à élucider.

Le surnaturel, ou, plus exactement, le naturel inconnu est à l’ordre du jour et sollicite chaque jour notre attention par de nouvelles manifestations. »

Les observateurs qui se penchent avec intérêt sur l’incroyable prestation du boxeur notent toutefois une certaine technique de la part du prétendu sorcier.

« Pour obtenir ce résultat plus que surprenant, Johnny Coulon n'a qu'un geste à faire : toucher simultanément celui qui veut le soulever, dans la région de l'artère carotide d'une main, et dans la région de l'artère radiale comme s'il voulait lui tâter te pouls de l'autre main.

Le double attouchement auquel se livre ainsi Johnny Coulon est extrêmement léger, à peine un frôlement. »

Les scientifiques, intrigués, sont de plus en plus nombreux à venir assister aux représentations du boxeur. Tout en ne cachant pas leur perplexité : serait-ce une forme de magnétisme ? Ou d’hypnose ?

« Les savants réfléchissent et discutent. L’un d’eux, spécialiste dans les questions de culture physique, nous faisait part hier de son désarroi :

– Je n’y comprends rien. Il n’y a de la part de Coulon aucune supercherie, il n’exerce aucun effort physique apparent pouvant contrarier l’effort de son antagoniste, et je ne puis m’expliquer la chose que par un curieux phénomène de magnétisme qui demande à être attentivement étudié. On sait qu’en hypnotisme, la compression du pouls et de la carotide amène dans beaucoup de cas le sommeil hypnotique, mais Johnny Coulon n’opère aucune compression, alors... nous cherchons. »

Pour en avoir le cœur net, de nouvelles expériences, réalisées dans un cadre scientifique, sont organisées. Elles rassemblent un médecin, un physicien, un astronome, un spécialiste du jiu-jitsu ainsi qu’un expert en « trucs sportifs », lesquels mettent en place un protocole d’expérimentation strict. Après plusieurs heures d’observation, leurs conclusions ne sont toujours pas définitives.

« Pour la première fois, on est en présence d'une expérience facilement renouvelable, c'est-a dire scientifique, qui manifeste – ce qu'on soupçonnait jusqu'Ici sans l’avoir pu démontrer – que la volonté humaine peut agir. 

M. Charles Nordmann se demande si le phénomène découvert par Johnny Coulon n’ouvre pas la brèche qui permettra de passer à travers la muraille qui a jusqu'ici défendu contre toutes les attaques de l’expérimentation les passionnants mystères que suscitent les rapports Inconnus de l’âme et du corps, des forces mentales et des forces matérielles. »

Devant cette énigme, Maurice Deriaz, recordman du monde de force, défie Coulon. Celui-ci accepte, en spécifiant que l’homme fort devra l’enlever normalement, c’est-à-dire en le prenant à deux mains par la ceinture et sans le faire basculer en avant ou en arrière.

Et le 7 février 1921, l’incroyable nouvelle tombe : « L’homme insoulevable a été soulevé ».

« Après plusieurs tentatives restées infructueuses, Maurice Deriaz a soulevé à deux reprises Coulon, malgré les contacts habituels de ce dernier, c’est-à-dire la pose d'un index au cou et de l'autre sur le poignet du souleveur.

Il est à noter que Deriaz avait vainement essayé précédemment de soulever Coulon à la Çhaux-de-Fonds, à Lausanne et à Montreux.[…]

Quant au mystère, a-t-il ajouté, il consiste, de la part de Coulon, à planter le doigt ou les doigts dans le cou le plus douloureusement et même le plus méchamment possible. Voyez, je porte encore une ecchymose au cou. En ce qui concerne le contact sur le poignet, il a pour but d'éloigner la main de son adversaire de la prise même en retournant les doigts.

Quant à Johnny Coulon, que nous avons vu ensuite, il nous a dit que Maurice Deriaz n'avait pu le soulever qu'en modifiant la position qu'il avait prise au début. »

Ce sera la seule fois où Johnny décollera. Le boxeur prend sa retraite et s’installe à Chicago, où il ouvre un club de boxe, tout en continuant ses exhibitions pour défier les plus grands : ni Jack Dempsey, ni Mohamed Ali n’arriveront à soulever le petit Johnny.

Il meurt en 1973 à l’âge de 84 ans, en emportant son « truc » avec lui.

« Je n'ai pas à expliquer mon “truc”, dit-il. Le knock-out n'est pas plus compréhensible ; un homme qui semble en pleine force s'étale soudain sur le ring, atteint à un centre nerveux. Il est anesthésié, mort pour quelques instants.

De même, dans mon petit numéro, l'amateur, quelle que soit sa force, ne parviendra pas à soulever de terre un enfant de trois ans sachant le prendre comme il faut. »