Réveillon 1938 : les révélations « loufoques » de Pierre Dac
Décembre 1938. Alors que ses contemporains s’apprêtent à célébrer Noël en famille autour du traditionnel repas, Pierre Dac entend remettre les pendules à l’heure en Une de son Os à moelle, organe officiel des loufoques. À l’en croire, l’origine de la tradition est à chercher ailleurs…
Fin 1938, c’est une riche année qui s’achève pour Pierre Dac, qui a fondé six mois plus tôt son Os à moelle, organe des loufoques, une publication humoristique à laquelle participe notamment – déjà – Francis Blanche, mais qui verra bientôt ses activités stoppées par la guerre et l’occupation.
Tout à son ton, Pierre Dac publie, ce 23 décembre, un article intitulé « La vérité sur le réveillon », dans lequel l’humoriste s’amuse à remettre en cause « une légende solidement enracinée » selon laquelle le traditionnel repas du 24 au soir aurait un lien quelconque avec la Noël. Et d’expliquer, dictionnaire des noms propres à l’appui, que les toasts et autres libations ont vocation à rendre un hommage joyeux à Jean-Baptiste Réveillon, propriétaire de l’ancienne manufacture royale de papiers peints de la Folie Titon et protagoniste malheureux, en 1789, de l’« émeute Réveillon ».
En somme, conclut-il, c’est à l’esprit d’entrepreneuriat et aux savoir-faire que nous levons nos verres…
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LA VÉRITÉ SUR LE RÉVEILLON
Qu’est-ce que le réveillon ? Oui, oui, je connais la réponse. Le réveillon c’est le repas qu’on prend en famille ou en compagnie à l’issue de..., eh bien ! non ce n’est pas ça du tout ; certes, il faut un certain courage pour lutter contre une légende solidement enracinée, car on détruit plus facilement une vérité historique qu’une affabulation surtout si elle est d’origine balsamique.
En tous cas, en ce qui concerne le réveillon, il est indiscutable que l’erreur est exacte et que l’exactitude de cette erreur a pour cause la fâcheuse confusion établie depuis des siècles entre Noël et le réveillon ; ça n’a absolument aucun rapport. Alors, êtes-vous en droit de me demander, qu’est-ce exactement que le réveillon ? Rassurez-vous, j’ai de quoi vous répondre, encore que ça ne veuille pas nécessairement prouver que j’ai du répondant : le réveillon, mesdames et messieurs, c’est la fête des papiers peints.
Ouvrez, je vous prie, votre dictionnaire au mot limitrophe, puis regardez plus loin parce que le mot limitrophe ne nous intéresse en aucune manière dans le cas qui nous occupe et consultez, immédiatement après la définition concernant la règle de trois des M aspirés, le mot réveillon ; vous lisez textuellement ceci : REVEILLON, marchand de papiers peints du faubourg Saint-Antoine, à Paris (XVIIe siècle et XIIe arrondi. L’abbé Roy, ennemi de Réveillon, profitant de l’effervescence populaire, l’accusa de pactiser avec la Cour. Le 28 avril 1789 on brûla ses magasins de papier. Ce fut la première émeute révolutionnaire, prélude de celle du 14 juillet, partie du même quartier. Louis XVI indemnisa Réveillon parce que le duc d’Orléans fut, à tort ou à raison, accusé d'avoir fomenté l’émeute.
Alors ? hein ? est-ce que oui ou non j’ai raison d’affirmer que le repas du réveillon n’a rien de commun avec la fête de Noël ? Est-ce que nous ne possédons pas la vérité infuse, en affirmant que ce repas de réveillon est un banquet estival et que la fête du 14 juillet n’en est, en quelque sorte, que l’aboutissement normal et légal ?
Est-ce que ça ne crève pas les omoplates que le boudin et la crème de saucisses sont le plat historique synthétisant in mémorandum le souvenir des papiers peints anéantis par le feu et l’incendie du grondement de la fureur de la voix du peuple ? Réveillon, mes chers concitoyens, était un rude homme ; n’était-il pas d’ailleurs recordman du monde du bœuf cuit et du salis d’endives ? Alors, n’est-il pas juste de célébrer par de somptueux festins le civisme de cet homme de bien, plus grand peut-être encore par les papiers de sa peinture que par les peintures de son papier.
En réveillonnant, c’est l’industrie tout entière du papier peint que nous honorons et que nous exaltons en vidant le fond de nos verres ; c’est un hommage rendu à une industrie nationale qui fait le plus grand honneur à l’art français en même temps qu’il stigmatise comme il sied les excès de toutes sortes et de tous gabarits.
Vive Réveillon ! Vivent les papiers peints ! Et vive la peinture en papier.
