La naissance d'un maître : les premiers succès d'Alfred Hitchcock en Grande-Bretagne
Le maître du suspense connut un succès fulgurant dès l'entre-deux guerres, avec des films comme Les Cheveux d'or, L'Homme qui en savait trop ou Les 39 marches. La presse française fut séduite par le talent du Britannique, qui allait s'exiler à Hollywood dès 1939.
Du cinéaste anglais Alfred Hitchcock (1899-1980), on retient souvent ses chefs-d’œuvre des années 1950 et 60 (Psychose, Sueurs froides, La Mort aux trousses, Fenêtre sur cour, Les Oiseaux...). Mais Hitchcock, réalisateur prolifique, connut la notoriété dès l'entre-deux guerres, alors qu'il n'avait pas encore quitté l'Angleterre pour Hollywood.
Hitchcock, jeune Londonien, commence à s'intéresser au cinéma dans les années 1920. Il intègre d'abord la firme Famous-Players Lasky (future Paramount) en tant que graphiste et auteur d'intertitres.
C'est après avoir assisté en 1924 au tournage allemand du film Le Dernier des hommes de Murnau, expérience qui l'impressionne profondément, qu'il réalise son premier film, Le Jardin des plaisirs (1925). Mais celui-ci est un échec commercial, tout comme son second effort, The Mountain of Eagle (aujourd'hui disparu).
Cependant, Hitchcock persévère. Avec succès : en 1927, Les Cheveux d'or (The Lodger en anglais), un thriller muet inspiré de l'histoire de Jack l'éventreur et marqué par le cinéma expressionniste allemand, est un triomphe et lance la carrière du cinéaste de 28 ans.
Le 19 mai 1927, Marcel L'Herbier, le réalisateur de L'Inhumaine, le place parmi les réalisateurs qui comptent dans un appel publié dans Comœdia destiné à « hausser le prestige moral » du cinéma international :
« Abel Gance, René Clair en France ; Fritz Lang, Karl Grune, en Allemagne ; Alfred Hitchcock, George Pearson, en Angleterre ont été les premiers à se trouver unis dans le souci d'étudier de haut, de loin, à l'échelle de sa propre grandeur, un statut fondamental du film.
À ce consortium d'animateurs, d'hommes du large, incombera un nombreux devoir :
Le premier lui sera de s'oxygéner l'esprit, de penser clair, de croiser dans des zones ouvertes au grand souffle, à juste point entre l'horizon de l'art, à l'occident, et l'horizon du film, vers l'est.
Le plus impérieux sera de hausser le prestige moral dont jouit timidement encore l'activité cinégraphique.
Le plus agréable sera d'étendre ce prestige de pays à pays, de peuple à peuple, d'homme à homme tout autour de la machine ronde, en chaque point fleurie d'humanité, partout la même, magnifique. »
Pour Hitchcock, les tournages vont désormais s'enchaîner : il ne s'arrêtera plus de tourner pendant les cinq décennies à venir. En 1928, il réalise Le Masque de cuir (The Ring en anglais), une histoire de boxeurs, bien reçu par la critique française. Ainsi dans Le Petit Parisien :
« Cette histoire de boxeurs n'est pas neuve. Mais les acteurs sont excellents et le metteur en scène Alfred Hitchcock est un as. Aussi, du point de vue cinégraphique, considérons-nous le Ring comme l'un des meilleurs du genre tournés à ce jour. »
Puis la même année, il signe une comédie mineure, Laquelle des trois ?, également bien accueillie, ici par Le Matin :
« Pathé Consortium Cinéma vient de terminer en beauté la première série des présentations de la production de la British International Pictures avec une comédie de l'humour le plus fin.
Laquelle, des trois ? tel est le titre du film dont le scénario est de M. Eden Philpot et la mise en scène du très distingué réalisateur Alfred Hitchcock, dont on a, il y a quinze jours, applaudi le Ring [...]. »
Les films de Hitchcock se succèdent, mais sans égaler le coup d'éclat des Cheveux d'or. Champagne en 1928 et The Manxman en 1929 sont ses derniers films muets. En 1929, Chantage, son premier film parlant, va connaître un immense succès.
Hitchock enchaîne alors deux grands films, L'Homme qui en savait trop en 1934 (dont il fera un remake en 1956), puis Les 39 marches, en 1935. Ce dernier est un récit d'espionnage qui se déroule en Écosse. Par son rythme, son intrigue serrée et ses qualités techniques, il est généralement considéré comme le chef-d’œuvre de la période britannique de l'auteur. La presse française de l'époque ne s'y trompe pas. Paris-Soir raconte le 1er novembre 1935, lors de la sortie hexagonale :
« Il y avait grand monde, hier soir, au Marbeuf, où l'on projetait un nouveau film d'espionnage réalisé en Angleterre par Alfred Hitchcock. C'est un des premiers films tournés outre-Manche avec des artistes appelés spécialement d'Hollywood, et l'on retrouve dans Les 39 marches des artistes américains tels que Madeleine Caroll et Robert Donat qui fut récemment, à Hollywood, le héros du Comte de Monte-Cristo [...].
La salle, composée de gens aussi difficiles que les journalistes et de quelques-uns des artistes que l'on voit à toutes les premières cinématographiques, a témoigné, par ses applaudissements, tout le plaisir qu'elle prenait aux péripéties de ce roman d'espionnage où l'humour ne le cède en rien à l'émotion. »
Tandis que la revue communiste Regards s'amuse :
« Le film anglais, qui relate une histoire d'espionnage, embrouillée et peu vraisemblable, comme elles le sont toutes – sur l'écran et dans les livres – a le grand avantage de passionner le spectateur et de l'amuser.
Au lieu de multiplier les bagarres, les coups de feu et les assassinats, le metteur en scène Alfred Hitchcock a solidement enchaîné des épisodes presque tous bien venus, toujours imprévus : ne voit-on pas une femme jeune et jolie livrer à la police un innocent accusé de meurtre ? »
Hitchcock tourne encore Quatre de l'espionnage, d'après un roman Somerset Maugham, qui sort en 1936 en France et séduit entre autres L’Écho de Paris :
« Par l'image, par la façon de s'en servir, par l'expression qu'il sait en tirer, Alfred Hitchcock est un merveilleux conteur de l'écran. Il sait retenir – toujours par l'image – le spectateur en haleine, le captiver, le reprendre au moment précis où il peut être distrait.
Alfred Hitchcock a donné du relief là où d'autres seraient tombés dans la monotonie ; en un mot, il a porté sur le plan des œuvres qu'on remarque un film qui, traité par Dupont ou Durand, aurait passé inaperçu. »
Hitchcock est alors considéré comme le plus grand réalisateur britannique. Alléché, le producteur David O. Selznick lui propose alors de venir tourner à Hollywood. Ce sera chose faite le 14 juillet 1938, lorsque Hitchcock signe avec lui un contrat de 40 000 dollars par film.
Hitchcock tourne un dernier film en Angleterre avant de partir. C'est La Taverne de la Jamaïque, un mélodrame qui sort sur les écrans français en juillet 1939, recevant les louanges du Matin :
« La légendaire Cornouailles, contrée sauvage et magnifique, sert de cadre tragique à l'action de la Taverne de la Jamaïque, film réalisé par Alfred Hitchcock, d'après un roman de Daphné du Maurier [...].
Charles Laughton a trouvé dans le rôle de Sir Humphrey, étrange figure d'une aristocratie ulcérée. cherchant une âpre jouissance dans l'antagonisme des sensations les plus extrêmes, un thème hors de l'ordre commun et bien à la taille de son admirable pouvoir de création et de suggestion. »
Hitchcock s'installe à Los Angeles en mars 1939. C'est là qu'il tournera quasiment tous ses films ultérieurs. Beaucoup connaîtront le succès planétaire que l'on sait et marqueront profondément et durablement l'histoire du cinéma.